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Ses souvenirs d’enfance sont liés à l’occupation américaine. Il s'intéresse d'abord à la peinture avant de se tourner définitivement vers la photographie à l'âge de vingt-et-un ans. En 1961, il s'installe à Tokyo où il devient l'assistant d'Eikoh Hosoe, l'un des fondateurs de l'agence Vivo. Il commence sa vie de photographe en concevant des pochettes d’allumettes pour des bars d’Ôsaka avant de trouver un emploi dans un studio photo. A Kobe, il fait des portraits-souvenirs de marins et de passagers sur les quais. En 1962, il devient indépendant. Vers 1965, Moriyama évolue vers une esthétique de l’instantané. Il travaille au Japon et à New York. Mais son quartier
de prédilection est Shinjuku avec ses rues étroites où se mélangent
toutes les couches de la population. Il piège ce qui se cache derrière la société de consommation.
Il attrape l’envers des paysages éblouissants des villes contemporaines.
Ses œuvres nous rappellent aussi que look urbain est souvent nostalgique.
Ses images aux forts contrastes rejettent la “bonne technique” par des
flous, des bougés, des lumières parasites ou la présence du grain. |
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Marquée par les changements spectaculaires du Japon dans les décennies suivant la Seconde Guerre mondiale, la génération de photographes à laquelle appartient Daido Moriyama contribue à l’invention d’un langage visuel nouveau, voulant saisir les mutations d’une société nippone qui oscille entre tradition et modernité. Après des études de graphisme à Osaka, Daido Moriyama décide de se consacrer à la photographie et rejoint Tokyo en 1961. Il est profondément influencé par les photographes d’avant-garde de l’agence Vivo, notamment par Shomei Tomatsu et Eikoh Hosoe. Il retient du premier la fascination pour la rue et apprend chez le second le goût de la théâtralisation et de l’érotisme. À la même période il découvre William Klein, Robert Frank et s’imprègne de la grande liberté photographique qui les caractérise ; c’est notamment d’eux qu’il tient sa manière de capturer ses sujets en mouvement, se servant de l’appareil photo comme d’un véritable prolongement du corps. Cette combinaison d’influences se lit dans ses débuts, en tant que photographe indépendant à partir de 1964, puis dans les projets qu’il réalise pour Provoke – revue qu’il rejoint en 1968. Ses images d’avant-garde, transgressives et pulsionnelles reflètent la contestation et la prise de conscience japonaise. Daido Moriyama aime regarder le monde au niveau du sol ou du point de vue d’un chien par exemple. Il parcoure le Japon en voiture pour y photographier le monde à partir de l’intérieur de celle-ci. Ce nouveau point de vue est incertain dans le monde la photographie où la station debout avait la préférence. Pour lui, l’œil du photographe ne doit pas être en contact avec les conventions de la prise de vue. Cependant Daido Moriyama n’est pas un photographe téméraire et il garde toujours ses distances. Cette distance permet à l’autre d’apparaître à l’instar de lui-même dans ses photographies. En 1980, Moriyama dit : « La plupart de mes instantanées, je les prends en roulant en voiture ou en courant, sans viseur, et de ce fait, on peut dire que je prends des photos plus avec le corps qu’avec les yeux. » Sa première monographie Japan: a Photo Theater (1968) puis son livre d’artiste Farewell Photography (1972) lui valent une notoriété immédiate. Son travail connaît dès lors un grand retentissement dans le milieu artistique tant au Japon que dans le reste du monde. Révélant le goût de l’artiste pour les cadrages chancelants et les textures, ses photographies en noir et blanc très contrastées constituent l’essence de son travail et contribuent à sa renommée internationale. Fasciné par l’étrange, l’inhabituel et l’extraordinaire du flux urbain, Daido Moriyama photographie la population de Tokyo et notamment celle du quartier de Shinjuku où il vit. On trouve, aussi bien des panneaux publicitaires défraîchis, des vitrines miroitantes, des tuyaux aux formes insolites, ou encore des profils de tokyoïtes saisis sur le vif. Comme prises à la hâte, ces photographies témoignent de l’esthétique de l’instantané chère à l’artiste qui utilise un appareil photo compact qu’il brandit au fil de ses balades, tel un véritable chasseur d’images. Plutôt que de sélectionner et de cadrer avec soin ses clichés, il déclenche spontanément sans regarder dans son viseur, se servant de son corps et de ses humeurs pour capter la réalité qui l’entoure. Indifférent aux techniques académiques de composition et de tirage, Daido Moriyama livre des photographies d’une grande force expressive. Bien que les photographies noir et blanc aient établi sa réputation, Daido Moriyama prête une attention particulière à la photographie couleur dès les années 1970, un intérêt qui va croissant jusqu’à l’apparition des premiers appareils numériques. Depuis le début des années 2000, il prend presque uniquement des photographies en couleur avant de les convertir ou non en noir et blanc. Entre 2008 et 2015, l’artiste réalise ainsi plusieurs milliers d’images numériques puis choisit d’en conserver certaines dans leur forme originelle, en couleur. |
Déclarations:Lorsque je marche le soir, mon appareil photo à la main, du Kabuki-chô à Kuyakusho-dori, puis d’Okubo-dori à la gare de Shin- Okubo, il m’arrive parfois de sentir un frisson courir le long de mon dos. Il ne s’est rien passé de particulier, et pourtant je perçois en moi comme un mouvement de recul. Sous les néons et les enseignes lumineuses, ou dans l’obscurité au fond des ruelles, se reflète une foule grouillante à la présence fantomatique. Et les réactions de ces ombres humaines, aussi subtiles que celles des insectes, se transmettent à la manière d’impulsions électriques à l’œil du petit appareil photo que je tiens à la main. Sous le coup de la tension, les cellules de mon corps s’agitent un peu, tandis que je capte dans l’air environnant ces grésillements qui précèdent l’orage. Lorsque je rôde dans tous les recoins de ce quartier, enveloppé d’une vague atmosphère de violence, je me répète, comme pour me défendre de ma crainte, qu’aux yeux d’un photographe comme moi, finalement, le seul sujet qui vaille la peine, c’est Shinjuku. Pourquoi ? Parce que ce quartier est unique, et qu’il a conservé l’allure d’un gigantesque faubourg. En 1997, aussitôt après avoir terminé mon livre de photographies d’Osaka, je me suis dit : « Bon, cette fois, il serait temps que je m’attaque à Shinjuku ! », et cette idée s’est imposée à moi naturellement, mais aussi avec la sensation presque palpable d’une évidence. Je venais, pendant toute une année, de photographier Osaka, une ville caractérisée par une puanteur et des contours particuliers et, peu à peu, mon intuition m’avait mené à la conclusion qu’un seul endroit, par sa réalité dense, pouvait l’égaler et même la surpasser : cet endroit n’était autre que Shinjuku. En d’autres termes, pour moi chez qui déambuler dans les rues et regarder partout, un appareil photo à la main, est une seconde nature, le seul territoire encore plein de vitalité à Tokyo, ce n’est évidemment ni Shibuya ni Ikebukuro, et encore moins Ginza, Ueno ou Asakusa, mais Shinjuku. Pour un photographe de rue comme moi, il serait inconcevable de marcher dans Tokyo en portant le regard ailleurs que vers ce quartier, boîte de Pandore débordant de mythes contemporains. Shinjuku est une véritable ville, et j’ai beau la fréquenter depuis près de quarante ans, elle demeure énigmatique à mes yeux. Chaque fois que je m’y pose pour la contempler, elle semble, telle une chimère, me dérober sa véritable nature, et brouille ma perspective mentale comme si je m’étais égaré dans quelque labyrinthe. Il serait faux de dire que je la déteste, mais quand on me demande : « Vous l’aimez donc vraiment ? », tout à coup je me sens réduit au silence. D’autres quartiers de Tokyo comme Ginza ou Asakusa peuvent me plaire plus ou moins, mais dans le fond mes relations avec eux restent assez insignifiantes, tandis qu’avec Shinjuku, c’est tout autre chose : il s’agit d’un attachement exclusif, qui ne fait que croître. Shinjuku, qui pour moi s’étend jusqu’au quartier de hautes constructions connu sous le nom de « nouveau centre urbain », se projette devant mes yeux tantôt comme une toile de fond géante, tantôt comme une vaste fresque dramatique, tantôt comme un bidonville installé là pour l’éternité. Et, curieusement, dans cet espace je n’arrive pas à découvrir de dimension temporelle. Car à Shinjuku, on ne peut pratiquement pas trouver trace du passage du temps, ce temps qui, à sa façon, s’accumule dans toute grande ville. Loin de moi l’idée d’esquisser un parallèle avec New York ou Paris, mais dans ces cités-là demeurent quelques marques ou formes temporelles qui permettent, dans une certaine mesure, de décrypter leur histoire. Bien sûr, on ne peut nier que certains facteurs séparent ces villes : différences de culture ou de mentalité, restes ou non de ravages dus à la guerre... Mais chez ce monstre du nom de Shinjuku, les repères géographiques sont mouvants, et les repères temporels indistincts. Ce quartier, métamorphosé en bête inquiétante dont l’épiderme parcouru de soubresauts va de mue en mue, engloutit tout ce qui se présente mais – allez savoir pourquoi – n’a pas besoin de se repaître du temps. À une exception près : le 21 octobre 1968, point culminant des troubles politiques qui rayonnèrent depuis cet endroit à la fin des années 1960, dont la date est restée gravée dans les mémoires. Mais aussi bien avant qu’après cet événement, le temps a entièrement disparu de Shinjuku. Pendant les quelque deux années que j’ai consacrées à photographier ce
quartier, toutes sortes de gens m’ont demandé : « Mais pourquoi Shinjuku
? » J’improvisais toujours une réponse, parfois assez plausible, mais
en fin de compte voici la formule qui résume le mieux ma pensée : « Tout
simplement parce que Shinjuku était là. » Qu’ajouter de plus ? Car le
Shinjuku dont je parle se reflète aujourd’hui encore dans mon regard comme
un faubourg immense, un sacré lieu de perdition. Les nombreux autres quartiers
qui constituent la mégalopole de Tokyo ont, depuis l’après-guerre, franchi
d’un bond toutes les décennies pour former selon moi, une fois pour toutes,
des paysages aseptisés. En revanche, Shinjuku s’affirme toujours comme
un monstre aux couleurs franches, débordant de vie, parcouru de constants
soubresauts. Expositions principales:
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Stray Dog, 1971
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