A 23 ans, il commence sérieusement à peindre et abandonne
définitivement son métier de tourneur.
Peintre, graveur et sculpteur, Jean-Pierre Pincemin expérimente d'abord
des opérations et des gestes divers sur la toile : empreintes, teintures,
collages, pliages, découpages.
Entre 1962 et 1966, il multiplie les tentatives picturales
modernes, de l'abstraction lyrique à l'action painting, en passant par
le nouveau réalisme, mais c'est avec la sculpture, discipline à laquelle
il reviendra toujours, qu'il se fait d'abord remarquer.
Autour de 1967-1968, il réalise sur des draps des empreintes
de planches, de tôles ondulées, de grillages qu'il récupère dans les décharges.
C'est son premier chantier sérieux de construction de la peinture. Il
la conçoit alors en termes de répétition et de sérialité, il en accuse
la matérialité.
Pincemin est proche de Claude Viallat et du groupe Supports/Surfaces,
avec qui il va exposer à plusieurs reprises. Avec les membres de ce groupe,
il participe à une interrogation sur les conditions et le statut de la
peinture. Il mène ensuite une réflexion sur la couleur et l'organisation
de la surface colorée en damiers et bandes.
Ensuite viennent les carrés de tissu collés, trempés dans
des bains de couleur.
Les toiles commencent à ressembler à des tableaux. Elles obéissent à une
structure architecturale simple, monumentale, d'arcs et de portes, avec
un haut et un bas, une assise, une partition de l'espace, même dans les
champs monochromes.
La couleur, sombre, passée à la brosse, y prend toujours
plus d'épaisseur et de poids. C'est le temps des "Palissades", des bandes
horizontales et verticales qui font penser à des planches ajustées. Dans
ces configurations strictes, le geste pictural peut se charger de lyrisme.
Les formats deviennent grandioses, à l'américaine.
Jean-Pierre Pincemin figure dans l'exposition "Nouvelle
peinture en France-Pratiques/théories", organisée par le Musée de Saint-Etienne,
en 1974. Elle réunit les représentants de Supports/Surfaces. Lui s'en
détache. Son premier exégète, le critique Bernard Lamarche-Vadel, devait
peu après (en 1979) reconnaître en lui un "peintre d'histoire", l'auteur
d'une "oeuvre animée d'un puissant motif", d'une "oeuvre prise dans une
réflexion sur la peinture dans son sens classique et traditionnel".
A la fin des années 80, tout en poursuivant son travail
sur les harmonies et les contrastes chromatiques, il s'oriente vers la
représentation, vers l'image et le sujet. Il inscrit des arbres de primitifs
italiens, simples et plats, en forme de cyprès, dans un cycle sur "L'Année
de l'Inde" , où l'on croise de grosses fleurs à la Warhol, des pattes
et des trompes d'éléphants blancs, toute une figuration à motifs incertains,
mais aux formes sûres, bien entretenues dans "un équilibre entre la présence
d'une image et son absence".
Le peintre navigue alors selon ses caprices, s'inspirant
de fables du Moyen Age, de l'imagerie chrétienne ou d'estampes japonaises,
après les miniatures indiennes. La découverte de l’aquatinte au sucre
en 1988 lui permet une grande souplesse d’exécution, une plus grande liberté
comme en témoignent ses réalisations sur le thème de l’arbre et de la
feuille.
En 1995, à Liège, il figure la création du monde sur un
plafond de 200 m2 à l'hospice du Balloir, en respectant à la lettre le
récit biblique.
En 1999, Pincemin montre ses tableaux préférés dans une
exposition à la Fondation Coprim, à Paris, puis il participe en 2000 à
l'exposition "La peinture n'est pas un genre", qui défend la pratique
picturale au Musée des beaux-arts de Tourcoing.
Pincemin donne aussi de drôles de sculptures, énormes parfois,
comme cette barrière de béton aux allures de dragon, qui approche les
11 mètres de long. Par contre, d'autres sont faites de petites plaquettes
de bois colorées et agrafées comme des éléments d'armure orientale.
Pour cet artiste dont " la grande affaire en peinture est
d'aimer la peinture, de ne pas savoir comment peindre, d'inventer des
moyens de peindre et assez vite, de pouvoir [s']identifier à la peinture
occidentale ", l'art est synonyme de découverte et d'invention. Ce principe,
conjugué à d'un besoin absolu de s'inscrire dans la tradition picturale,
est le fondement d'une œuvre singulière, d'une grande rigueur logique.
Pincemin déclarait qu'il avait toujours eu "une idée ultraperfectionniste
de la peinture : une vision qui est très proche de celle de Véronèse".
Il précisait qu'il lui avait fallu dix ans pour apprendre à peindre et
pouvoir faire un tableau. Il se disait "archiconventionnel". Et déclarait
vouloir "prendre des formes du XXe siècle, la géométrisation, ou même
l'abstraction, et les dire dans un langage qui serait pratiquement celui
du XVIe siècle".
Jean-Pierre Pincemin est mort le 17 mai 2005 à Arcueil
(92)
Publication:
MONKEY BUSINESS - Jean-Pierre Pincemin, Monkey Business,
Chambéry, Éd. Comp’Act, 1998.
Expositions personnelles récentes:
- 2000 Galerie Denise Cadé, New York
Galerie Oniris, Rennes, FIAC (sculptures)
Galerie Hélène Trintignant, Montpellier
- 2001 Rétrospective des gravures au Musée de la Louvière, Belgique
Musée de Clermont-Ferrand (peintures récentes)
- 2010 : Jean-Pierre Pincemin - Musée des Beaux-Arts d’Angers
Jean-Pierre Pincemin par Jean-Pierre
Pincemin
Je nais en 1944. April Seven Boulevard du Port Royal à Paris. Enfant,
sans plus de qualités qu’un autre, je vécus chez ma grand-mère entre l’école
publique et l’église. À l’âge de onze ans, comme beaucoup de mes petits
camarades, je fus accepté en 6e.Comme alors une particularité d’existence
: je n’étais ni heureux ni malheureux, j’avais un environnement et n’avais
pas assez d’imagination pour en penser un autre.
Aller en 6e quand on habite Briis-sous-Forges, c’était prendre l’autocar
à 6h30 qui vous menait à la gare d’Orsay (Seine-et-Oise) et, de là, prendre
un train jusqu’à Palaiseau-Villebon. Je n’ai trouvé aucun attachement
à ce changement d’école et me passionnais peu pour l’histoire de l’Égypte
et pour les modes de calcul qui n’étaient pas l’arithmétique. Progressivement,
je n’allais plus aux cours et passais mon temps entre gare d’Orsay et
gare de Palaiseau, dans les bois, les rochers et les architectures locales.
Ce que je cherchais d’enseignement, je le trouvais dans les aventures
«Blake et Mortimer». Le soir, par chemin inverse, je rentrais dans ma
famille avec le souvenir de mes aventures et rarement avec des devoirs.
L’année suivante fut très différente. Mes parents avaient été probablement
alertés de ma mauvaise conduite scolaire et bien que ce fût un sacrifice
financier, je fus à l’école Saint-Nicolas à Igny. École de frères jésuites
entourée de murs où poussaient les arbres en espalier. La grande porte
marron était toujours fermée. Pour aller chaque lundi matin dans cette
nouvelle école, j’avais casquette et boutons dorés. Je refaisais le même
chemin par autocar et train, mais sans m’arrêter. L’internat ne m’a pas
prêté plus d’intérêt que les études. J’adorais écouter les professeurs
mais n’apprenais presque rien. Pour me consoler, restaient le chant de
la chorale et un petit peu l’infirmerie. J’ai redoublé la 5e, j’aurais
pu la retripler et même y être encore. Je sortais de cette école en connaissant
l’Alléluia de Haendel et savais marcher avec des échasses.
Quand on a des enfants, il faut penser à leur avenir. Le mien passe
par l’école d’apprentissage de Cachan où j’appris, tant bien que mal,
le métier de tourneur. Comme on le devine, il n’y avait pas de raisons
nouvelles qui eussent modifié mon comportement à l’attention des études.
Un événement cependant s’est glissé dès la première année. Le professeur
de dessin parlait à qui voulait bien l’entendre des maîtres de la peinture
et du Louvre; lieu s’il le fallait des maîtres de la peinture. C’est sur
ce chemin que tous les vendredis, je m’absentais de l’école (le cours
de dessin industriel était dans un autre bâtiment, je me débrouillais
pour ne jamais y arriver). J’allais au Louvre, je cherchais d’autres enseignements;
j’allais devenir assez vite différent de mes camarades. Quand on a quinze
ans, l’on apprend très vite. Je lisais les magazines et devins champion
sur les connaissances du jazz, du cinéma, de la musique savante, et comble!
de l’art moderne.
J’eus le CAP de tourneur. J’entrais dans la vie professionnelle à dix-sept
ans. J’ai débuté dans une petite entreprise puis, après un «essai», entrais
à la Snecma (entreprise nationalisée d’études et de fabrication de moteurs
d’avion). J’étais engagé sur un horaire de 6 h à 14 h ou de 14 h à 22
h. J’allais être assez libre de mon temps.
À Paris, en 1962, les galeries d’art étaient situées rive droite de
la Seine ou rive gauche. À droite, les galeries traditionnelles de prestige
(sauf Mathias Fels), à gauche les courants montants, les avantgardes.
Les artistes de la galerie Denis René représentaient ce qu’il y avait
de plus nouveau : un art objectif, visuel, débarrassé du fatras poétique,
psychologique et historique. C’est à travers Vasarely qu’il était possible
de deviner les inventeurs du Bauhaus, Mondrian et de comprendre l’avant-garde
russe.
En corollaire l’esthétique industrielle, l’étude de la forme des machines,
des voitures, des avions et une «prospective en architecture» étaient
de mise. L’on ne dira jamais assez l’importance de Vasarely sur la pensée
des avant-gardistes manipulant les principes minimaux de la géométrie
ou de l’informatique. Sans changer de quartier et sans se priver, il y
avait d’autres choses à voir. L’avant-garde était mon truc; je me gardais
dans un mode de pensée (...) Je n’en ai pas eu le temps, service militaire
oblige; allait commencer une autre histoire.
Mauvaise affaire, incapable de m’adapter dans un milieu dont les règles
n’avaient pas ma convenance avec cette fois la particularité militaire
et la force de police si l’on s’en évade. J’avais trois livres : l’un
sur la recommandation d’Orson Welles était les Essais de Montaigne, les
deux autres étaient La Pensée sauvage de Lévi-Strauss et, dans un effort
de dignité pour le corps constitué Guerre et Paix de Tolstoï.
Tant et si bien qu’il ne fallut que trois mois pour faire de moi un
«zombie», forme particulière sans aucune défense, affaibli et disponible
au corps médical. Je fus admis à l’infirmerie par le médecin capitaine
pour «allergie aux kaki» et mieux encore, intégré dans le système administratif
et soignant de cette annexe du régiment. J’eus la responsabilité de toutes
les vaccinations et assistais le médecin capitaine comme il se doit dans
les consultations.
J’assurais avec perfection le service, écoutais sa médecine, lisais
les revues médicales, rédigeais les ordres de mission. Ce docteur Milhes
est certainement l’homme que j’ai le plus aimé dans ma vie; il était beau,
avait une jolie voix du sud-ouest, avait une totale confiance en moi dans
les limites qu’il m’accordait de faire des diagnostics, mais pas de thérapie.
J’usais légèrement de mes pouvoirs pour faire admettre mes copains à l’infirmerie,
les exonérer des corvées et les promener en leur faisant des ordres de
mission. J’imitais parfaitement sa signature. Je m’étais aménagé une «cabane
bambou» dans les greniers et réalisais, avec des moteurs électriques,
de grandes peintures sur les draps que nous avions en stock, avec de la
peinture d’iode, du bleu de méthylène et du mercurochrome. C’est pendant
une permission et dans cette période-là que j’ai rencontré Jean Fournier.
D’abord, sachons que Jean Fournier avait acheté une maison dans le même
village où habitaient mes parents. C’est le peintre en bâtiment, un peu
italien, qui venait de peindre la grille de la dite propriété, qui me
prit en «stop» sous sa propre responsabilité; en effet il n’avait son
permis de conduire que depuis une journée. Chemin faisant (j’allais à
Paris au Salon de Mai), il fut convenu qu’il me présenterait à Jean Fournier
dont je ne connaissais pas la galerie et redoutais le pire. Ce qui fut
fait. Jean Fournier m’examina gentiment. Il connaissait presque tout ce
que je connaissais. Il fut la première personne à qui je parlais dans
le sens biblique du terme, et dans la suite du temps, nous devînmes amis.
Avant de partir de sa librairie-galerie, il m’offrit l’Éloge de la main
de H. Focillon et me dit que j’étais fait pour être peintre. J’ai pris
cela très au sérieux.
Les choses changeaient dans mon infirmerie, le médecin capitaine était
malade et hospitalisé à Strasbourg. D’autres médecins le remplaceront,
je faisais quelque peu l’intérim entre les différents offices de médecins.
Celui qui me poussa définitivement dans mon rôle, fut le nouvel aspirant
médecin, J. Rodier. Il était arrivé un après-midi sans prévenir et prenait
ses fonctions le lendemain. Le Dr Rodier était ami avec Jean Fournier,
par la conversation nous nous en rendîmes compte et nous pûmes travailler
ensemble – de ce fait, j’allais bientôt imiter sa signature et retrouver
mes privilèges.
J’allais partir bientôt, il me prêta un peu d’argent pour louer une
chambre à Paris sans avoir à le demander à mes parents. L’idée d’un retour
à l’usine et de reprendre les manivelles (expression typique du tourneur)
ne m’enchantait guère. Même travail, même horaire : cette fois à Boulogne-
Billancourt pour la réparation des moteurs Pratt et Whitney – frais l’été,
froid l’hiver. Il fallait rectifier les pales du rotor des réacteurs qui
faisait effet de ventilateur sur l’opérateur aux manivelles. Démission
de la Snecma, escapade à Florence, puis Marseille. D’entreprise en entreprise,
je fis tout ce qu’il était possible de faire, y compris le bâtiment, horaires
impossibles, syndicalisme corrompu et majesté de la construction navale.
Retour à Paris avec un bébé né à Marseille. D’entreprise en entreprise
: mécanique en robotique, fabrication des trains d’atterrissage d’avions
pour Messier, roulements à bille SKF, nez de Concorde chez Alcatel et
pour finir un contrat de un an au CNRS pour un laboratoire de recherche
de spectographie – année de rêve, collaboration avec des gens peu pressés.
Mars 1968, fin de contrat. Usine de fabrication des freins automobiles,
engagé pour l’entretien et la fabrication des machines. J’en partirai
en 1972, date à laquelle j’arrêterai ce récit.
Revenons donc en arrière. En 1963 ou 1964, les questions artistiques
s’organisaient entre les tenants du progrès et les autres. Dans cette
dernière catégorie, l’institution tenait bien son rôle et maintenait contre
elle-même une pression contestataire et, par là même contre l’État. Les
progressistes étaient de gauche, les autres de droite.
Cette idée de progrès se vérifiait de tous côtés, l’amateur de jazz
entendait les différences et les recherches de style entre Louis Armstrong
et Dizzy Gillespie, et cela sur des espaces vivants et enregistrés depuis
quarante ans. Le cinéma produisait déjà sa propre histoire avec la classification
: les pionniers, les inventeurs, les auteurs. Pierre Boulez, dans ces
conflits, fut le plus parfait. Analyste et ferme, l’oeuvre musicale prenait
corps dans la pensée et dans rien d’autre, si je puis parler à sa place.
L’intelligence, l’exactitude et la science devenaient indispensables
à la conscience. Parler n’est rien d’autre que connaître un langage, analyser
ce langage, et faire produire ce langage. La pensée marxiste, Claude Lévi-Strauss,
Leroi-Gourhan, les premiers numéros de la revue Tel Quel et encore et
encore ont tenu cette période dans une discipline de l’esprit. N’importe
quoi, n’importe comment n’étaient pas de mise, même pour produire du progrès.
Dans la peinture, la contradiction arrive par la galerie Sonnabend qui
expose les artistes popaméricains. Que voyons-nous? Des couchers de soleil
de Lichtenstein comme exécutés par un carrossier avec de la tôle perforée,
Andy Warhol qui sérigraphie des fleurs, ou Jasper Johns qui peint le drapeau
américain. Ces artistes ne devaient rien à Marcel Duchamp ni La Fayette.
Artistes made in USA, ils le devaient à eux-mêmes et les Français furent
chagrins. La France insulaire était menacée.
L’espace Pop made in USA était nouveau, était vivant; les artistes étaient
proches des jazzies par leur indifférence et leur sens pragmatique d’organiser
une session ou une oeuvre d’art. La chose peinte, si l’on peut dire, ne
s’engageait pas dans la complexité métaphysique, mais était visuelle,
objectivement visuelle, en surintentionnant la communication. Cette chose
reste encore totalement active, le style pop art est international, laissant
à chaque localité la liberté du goût qu’elle a de ses scories culturelles.
Peindre en 1966, c’est connaître dans le désordre : l’avant-garde russe,
Mondrian, l’école expressionniste américaine, l’école pop américaine,
les classiques modernes, et surtout ignorer l’école française de Paris.
Or maintenant, si nous souhaitons la belle cohérence de Baudelaire, les
risques brûlants de Rimbaud et, s’il vous plaît, l’articulation raisonnante
de René Char, et si vous vouliez faire une oeuvre contemplative, quasi
religieuse et sentimentale, le peintre allait donc prendre la «félicité
des bêtes»; son action anonyme ne sera qu’une mise en place : point de
sujet peintre, projet d’aliénation. L’objet se constituait dans la neutralité,
un gramme de déceptivité, et un désir d’expansion. Il acceptait les vertus
de l’analyse de la musique et retrouvait «modèles» dans le sens pattern
de sa culture propre. Ce fut là ma participation éloignée au groupe Supports/Surfaces.
C’est la fin aussi du récit.
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