Le film de Resnais, somptueux de beauté dans ses noirs et
blancs, dans ses décors à la fois hiératiques et abstraits, fait se rencontrer
ou se croiser des personnages non moins solennels et lointains. Mais la
magie des mots dits et répétés, leurs sonorités qui s’égrènent dans les
couloirs et les salles immenses, la voix grave et rugueuse de Sacha Pitoëff,
la diction douce et veloutée de Delphine Seyrig, l’accent italien suave
de Giorgio Albertazzi, composent une triple incantation, amplifiée par
un accompagnement musical de grandes orgues majestueuses, que le récit,
malgré tout linéaire, oriente vers une direction que chacun peut emprunter
à sa façon.
Ce film pictural et musical sur le temps, qui passe, qui
n’est plus mais qui ressuscite, pour mieux disparaître, qui est peut-être
immobile, garde la même puissance d’envoûtement, l’une des plus captivantes
jamais nées du cinéma. On peut relier cette magnificence formelle pour
conserver l’atmosphère d’ironie sous-jacente propre au film, à une résurgence
moderne de l’ancien mythe grec. Les spectateurs sont plus sensibles encore
au souvenir du sentiment amoureux, à la trace qu’il laisse dans le présent
ou l’imaginaire et à son importance pour l’avenir.
Resnais fait naître, dans le film, étrangeté et mystère.
Ce qui se voit à l’écran impose une réalité multiple que l’on peut percevoir,
en une confusion habilement entretenue, soit comme la vision d’un souvenir,
soit comme l’image du présent, soit, enfin, comme une représentation imaginaire.
Il arrive que les paroles précèdent l’image et semblent la faire naître;
à l’inverse, certaines images forment des séquences que des paroles échangées
ensuite confirment a posteriori; enfin, les mêmes paroles sont prononcées
dans des situations et des cadres différents.
On y voit une mise en abyme qui installe le spectacle théâtral
«Rosmer», présenté par une affiche, à l’intérieur même du film: «Mercredi
3 relâche pour répétition/Dimanche nouvelle présentation/ROSMER-SHOLM/Niola
Blander». Le titre si clair dans l’intitulé de son propos: le temps (l’Année
dernière) et l’espace (à Marienbad) ainsi mentionnés évoquent allusivement
le début de tout récit (Il était une fois...): «Il était une fois l’année
dernière à Marienbad…». Mais ce n’est là que référence ironique puisque,
d’histoire, il n’y a pas, sinon sous forme de fragments épars, récurrents
et énigmatiques à rassembler en une volonté de cohérence que décourage
le réalisateur lui-même («Chaque spectateur est invité à apporter sa contribution
personnelle dans la mise en place d'éléments de scénario que les auteurs
ont volontairement privés de tout sens imposé.»).
Ce conte relève à l'époque de sa sortie d’un
genre totalement nouveau. Pourtant, concernant les personnages, le film
présente le triangle classique de la femme partagée entre le supposé mari
et l’amant. Mais ce n’est qu’apparence: les trois personnages sont anonymes
et le recours à la périphrase s’impose pour les évoquer: par exemple,
ce pourraient être «la jeune Femme brune», «l’Homme au visage maigre»
ou «l’Inconnu à l’accent italien».
L’unité de lieu paraît si évidente, mais pourtant elle
est dédoublée en un château et son jardin, qui se déclinent eux-mêmes
en de multiples espaces éclatés, clos sur eux-mêmes comme autant de décors
chargés d’un sens particulier: le salon de jeu, la statue sur la terrasse,
la salle de théâtre, les allées du jardin, la chambre, sont liés à un
événement précis et leur apparition récurrente à l’écran sert à morceler
chaque fois un peu plus ce qui devient l’unique lieu des apparences.
Le film propose trois personnages principaux apparemment
associés dans un récit convenu dont les relations sont esquissées à partir
de trois variantes de fin. La femme serait-elle tuée par le mari jaloux
(variante 1 montrée à l’image mais aussitôt démentie par l’Inconnu: «Non!
Ce n’est pas cette fin qui m’intéresse.»)? L’Inconnu serait-il victime
d’un accident , bris de la balustrade en tentant de se dissimuler aux
yeux du mari (variante 2 )? L’Inconnu et la jeune Femme brune quitteraient-ils
le château ensemble (variante 3 )? Mais il est aussi question d’un certain
Franck envoyé par le père de la jeune Femme brune et dont la mission aurait
été de la surveiller , qui aurait pris une photo d’elle et aurait pénétré
dans sa chambre . L'Inconnu serait-il ce Franck?
Pour ce qui est de leurs occupations, les personnages du
film assistent à une représentation théâtrale, se préparent pour un concert,
dansent lors d’un bal, conversent dans des salons ou des couloirs. Ils
s’essaient aussi à un jeu, réservé aux hommes, semble-t-il, qui utilise
tour à tour allumettes, cartes ou dominos, et consiste à retrancher un
ou plusieurs éléments d’un ensemble. Précisément, ces séquences récurrentes
sur le Jeu de société dont il est dit et répété qu’il est fondé sur une
stratégie plutôt que sur le hasard renvoie au thème de l’Amour, au questionnement
sur le sentiment amoureux lui aussi né du hasard de la rencontre et d’une
stratégie de séduction.
Cet affrontement entre l’Inconnu et le Mari supposé n’aurait-il pas pour
objet une forme de connaissance et de pouvoir sur la jeune Femme brune?
Le supposé Mari: «Je connais un jeu où je gagne toujours.» L’Inconnu:
« Si vous ne pouvez pas perdre, ce n’est pas un jeu!» Le supposé Mari:
«Je peux perdre, mais je gagne toujours.» L’Inconnu: «Essayons!» L’assurance,
voire la prétention, de M/l'Homme au visage maigre dans son talent pour
le Jeu de société trouve sa justification dans chacune des rencontres
qu’il remporte contre l’Inconnu, mais elle est démentie par l’échec de
sa relation avec la jeune Femme brune qui se détournerait du vainqueur,
séduite par le vaincu.
Le montage s’ingénie à multiplier les pistes et les chausse-trappes.
Par exemple, la jeune Femme brune, à qui l’Homme au visage maigre rappelle
qu’elle est là pour se reposer, est-elle maîtresse d’elle-même, ou bien
est-elle sous son influence agissante? Les scènes qui la présentent en
situation dramatique, cris dans la chambre, au bar et devant la balustrade,
insistent sur son émotivité et la fragilité de son état mental. De son
côté, l’Inconnu à l’accent italien l’a-t-il vraiment connue l’année précédente
à Marienbad («C’était un lieu de repos.»), ou bien essaie-t-il de séduire
une femme qu’il sent psychologiquement diminuée? Ou encore se pourrait-il
que leur rencontre dramatique l’année précédente l’eût rendue amnésique
et que, le hasard les ayant de nouveau mis en présence, elle ne se souvînt
de rien?
Le château, par l’enchevêtrement de ses corridors innombrables,
de ses multiples pièces et recoins, commandé par l’escalier principal
monumental, et le jardin, par ses allées rectilignes mais coupées de contre-allées,
dessinent, de façon lancinante, une géométrie propre à retranscrire visuellement
le réseau mémoriel des émotions et des idées de chaque univers intérieur
personnel. Ce château et son jardin maintes fois explorés et signalés
vides, déserts, silencieux, mais aussi bruissant de conversations («Je
n’ai jamais entendu personne dans cet hôtel. Les conversations se déroulaient
à vide comme si les phrases ne signifiaient rien./C’était un lieu de repos.
On n’y traitait aucune affaire./On n’y traitait aucune affaire./On n’y
parlait de quoi que ce fût qui pût éveiller les passions./Il y avait partout
des écriteaux.»/«Taisez-vous! Taisez-vous! », insiste l’Inconnu), sont
la représentation sensible de l’univers mental de l’Inconnu. Les scènes
itératives, maintes fois reprises et rejouées, voire modifiées, témoignent
du processus même de sa mémoire et de son imaginaire.
Déclarations
Alain Resnais déclare :
" II n'y a pas de solution au film. Evidemment, parmi les hypothèses qu'on peut faire, il y en a qui nous plaisent plus que d'autres. Mais l'essentiel c'est que cette possibilité de divergence d'interprétation demeure. On peut dire que c'est un film sur l'incertitude de l'amour (qu'est-ce qu'une passion, si on peut se poser tant de problèmes un an après ?) ou un film sur les univers parallèles (ces deux personnages sont peut-être parfaitement sincères et, par une sorte de détour, l'un des univers a peut-être croisé l'autre). On peut dire que c'est un film sur l'imaginaire, ou sur la persuasion, ou sur la communication.
On peut penser que c'est une vieille légende bretonne et que la mort vient chercher sa proie après un an de sursis. On peut croire que nous sommes dans un asile, ou dans une clinique, et que la femme est une véritable amnésique.
Toutes ces interprétations, toutes ces hypothèses sont également valables. Au spectateur à trouver sa propre vérité.
L'année dernière à Marienbad est totalement onirique. C'est une comédie musicale, sans chanson, qui tente d'approfondir les forces du rêve ."
Alain Robbe-Grillet, le scénariste déclare:
" L'œuvre d'art, à mon sens, est moins faite pour être comprise que pour être ressentie. On peut, certes, la comprendre, l'interpréter, mais alors, autant que possible, de tas de façons différentes. Il n'y a pas une clé. Comme dans le monde, tout simplement. Dans le monde qui nous entoure, il y a un certain nombre de choses importantes qui sont là, et on ne sait pas pourquoi c'est là."
Marcel Martin (cinéma 61) déclare:
MARIENBAD, a dit Alain Resnais, est un film qui a besoin du spectateur. Vous devez le créer vous-même. Ce n'est pas une boutade, ni une coquetterie. Jamais, malgré les apparences, un film n'a été aussi loin de la définition que les imbéciles donnent du cinéma : une nourriture que l'on vous tend toute mâchée. Jamais un film n'a eu autant besoin de l'entière, de l'ardente participation du spectateur. Jamais la passivité n'aura été plus criminelle que devant ce film.
C'est une œuvre d'une totale, d'une absolue, d'une inépuisable disponibilité. Vous pouvez y voir, y découvrir, y apporter, tout ce que vous voulez. Le film est ce que vous êtes. Pas d'accord possible, pas de convergence réalisable : il y a autant de MARIENBAD que de spectateurs. Toujours le même et toujours différent. C'est un film d'exploration. Dans ce luxuriant foisonnement de marbres et de miroirs, de balustrades et de volutes, nous sommes au cœur d'une forêt vierge. Elle nous enveloppe, nous fascine, nous absorbe. Nous y découvrons des êtres étranges, inconnus, s'exprimant en un langage indéchiffrable, se livrant à des jeux, à des rites, à des cérémonies dont le sens nous échappe. Des ethnologues bénévoles nous proposent des explications qui marchent un instant et, l'instant d'après, s'avèrent impuissantes.
Jamais le spectateur n'a été aussi libre. C'est à lui de faire son propre film. Comme dans le rêve, tout est permis, tout est possible. Le spectateur participe à l'angoisse créatrice.
MARIENBAD est une sonate. Jamais le langage du cinéma n'a été plus proche de celui dont il est, par nature, le plus proche : le langage musical. Art du temps par excellence, le cinéma est ici durée pure. Le film tournoie, se love en phrases toujours les mêmes et toujours renouvelées, le mouvement s'amplifie, s'apaise, repart dans une tonalité différente. Le commentaire, les bribes de phrases saisies au passage et même les paroles des protagonistes valent moins par leur signification réaliste, que par leur musicalité. Le sens des mots s'efface, c'est leur son qui leur donne leur véritable poids.
La vraie musique du film est d'un autre ordre : c'est celle qui naît des "leitmotivs" visuels, des mouvements de caméra et du montage. Resnais pousse ici à leur extrême limite les obsessions visuelles et rythmiques de son oeuvre passée : la caméra féline lancée dans de longs et caressants travellings qui sont comme une plongée et semblent transformer espace et temps en des fluides insaisissables. Et le montage : chef-d'oeuvre de subtilité, de souplesse, de persuasion, dont l'action est presque inanalysable mais qui agit inconsciemment par son rythme irrésistible.
MARIENBAD est le premier film absolu, le premier film dont langage et contenu s'identifient exactement et complètement, le premier qui procure un plaisir esthétique parfaitement pur sans être simplement figuratif, le premier qui décourage et ridiculise toute critique, le premier qui se pose comme un absolu artistique ayant en soi seul toute sa raison d'être.
Découpage
Dès le générique, une voix sourde et lointaine, accompagnée
d’une musique d’orgue, dit un texte, et se perd, couverte par l’instrument.
Puis elle émerge sur les premières images du film (plafonds chargés de
stucs et d’arabesques, lustres ciselés, hauts de miroirs où se reflètent
les éléments de la décoration d’une vaste et luxueuse demeure) que la
caméra donne à voir par de lents travellings tournoyants et de gros plans,
cependant que la voix, de nouveau, se consume mais réapparaît, envoûtante,
récitant le même texte repris, et légèrement modifié, qui se continue
en boucle.
Un raccord donne ensuite à voir l’enfilade de couloirs et
un serviteur en frac qui s’avance, une gravure représentant le plan d’un
jardin à la française, les numéros impairs (313, 311 et 309) de portes
de chambre, de nouveaux couloirs et de nouveaux serviteurs immobiles comme
des statues, des statuettes sur leur piédestal disposées de part et d’autre
des corridors, puis, par un second raccord, une affiche annonçant un spectacle
qui porte le nom de «ROSMER» et que contourne un travelling avant qui
filme le plafond. La voix, devenue murmure, n’est plus audible.
Un
fondu au noir interrompt la séquence et, alors que la voix se fait réentendre,
apparaissent des visages figés de personnages attentifs à un spectacle
théâtral donné par deux acteurs (un homme et une femme) à la déclamation
affectée. A côté des spectateurs assis, un homme immobile se tient debout.
La voix off s’interrompt sur une question: « J’étais moi-même en train
de vous attendre très loin de ce décor où je me trouve maintenant devant
vous, en train d’attendre encore celui qui ne viendra plus désormais,
qui ne risque plus de venir, de nous séparer de nouveau, de vous arracher
à moi. Venez-vous»). Sur scène, l’actrice prend la parole et semble
répondre à la voix off en un dialogue inattendu brisant le long monologue
du récitant: «Il nous faut encore attendre quelques minutes, quelques
minutes encore, plus que quelques minutes, quelques secondes.» Mais la
voix off enchaîne, sur le ton du reproche: «Quelques secondes encore,
comme si vous hésitiez vous-même avant de vous séparer de lui, de vous-même,
comme si sa silhouette déjà grise risquait encore de réapparaître à cette
même place. Vous l’avez imaginé avec trop de force, de crainte ou d’espoir,
dans votre crainte de perdre tout à coup ce lien fidèle avec…». Mais
la voix de l’actrice réfute ce discours: «Non! Non, cet espoir est
maintenant sans objet. Cette crainte est passée de perdre un tel lien,
une telle prison, un tel mensonge. Toute cette histoire est maintenant
passée, elle s’achève. Quelques secondes encore, elle achève de se figer…»
A son tour, l’actrice est interrompue. Mais ce n’est pas la voix off que
l’on entend, c’est l’acteur sur scène qui donne la réplique et reprend
à son compte le texte de la voix off, installant une confusion certaine:
La caméra filme alors la scène et les deux acteurs pendant que l’actrice
énonce la dernière réplique; «Voilà. Maintenant, je suis à vous.»
Les spectateurs sont saisis figés, encore sous le coup de l’émotion, ou
en train de converser en groupe ou isolés. Parmi eux, on remarque une
jeune femme brune. Les salles et les couloirs se vident. Toutefois, un
homme Inconnu semble écouter un échange assez vif entre une femme et un
homme qui lui fait des reproches dans les mêmes termes que la voix off
utilisait dans la longue introduction. La jeune femme, apeurée, lui demande
de se taire. Le couple quitte la salle en passant devant la jeune femme
brune qui entend deux hommes raconter une histoire qui se serait déroulée
en 1928 ou 1929, année au cours de laquelle il aurait gelé pendant une
semaine. Les deux hommes s’éloignent en passant devant l’homme Inconnu
qui, à son tour, quitte la pièce, croise le couple en discussion et s’éloigne
dans le long couloir. On entend l’homme du couple adresser, de nouveau,
à la femme apeurée les mots que prononçait la voix off.
De nouveau,
la voix off récite le texte déjà dit pendant que la caméra explore des
couloirs, des pièces et des galeries vides. Des groupes sont saisis en
train de discuter. On rencontre ainsi un Homme au visage maigre se tenant
à côté de la Femme brune vêtue d’une robe claire, cette fois, écoutant
l’histoire d’un certain Franck («Vous ne connaissez pas l’histoire
On ne parlait que de ça l’année dernière. Franck lui avait fait croire
qu’il était un ami de son père et qu’il venait pour la surveiller; C’est
une surveillance un peu bizarre. Elle s’en est rendue compte un peu tard.
Quand il est entré dans sa chambre…»); on entre dans un salon où se
défient, à un jeu qu’il initie, l’Homme au visage maigre et l’Inconnu,
dont on découvre que la voix est celle de la voix off. L’Inconnu perd
la partie.
La jeune Femme brune est filmée, de nouveau dans sa robe
noire, pendant que la voix off confie: «Vous êtes toujours la même.
J’ai l’impression de vous avoir quitté hier.» Mais la caméra montre un
couple dont la conversation semble enchaîner sur cette même phrase: «Qu’êtes-vous
devenue depuis tout ce temps/- Rien, vous voyez, puisque je suis toujours
la même./- Vous n’êtes pas mariée/- Non! Non!/- Vous avez tort, c’est
très amusant./- J’aime la liberté. » Lorsque le couple quitte la salle,
il croise la Jeune Femme brune sur le palier. Puis l’on voit réunis, pour
la première fois, les trois personnages nommés au générique: l’Inconnu
est habillé d’un smoking et la Femme brune d’une robe noire. Celle-ci
semble apprécier les connaissances de celui-là sur le château au point
de le trouver excellent guide. Il lui propose de lui faire découvrir les
lieux. Sa réponse tient lieu de transition sonore avec le plan suivant
qui la montre cette fois vêtue d’une robe claire lamée, alors qu’il est
en costume; ils valsent cependant que la conversation se poursuit comme
s’il s’agissait de la même scène.
Puis des hommes alignés font feu sur
des cibles. L’Inconnu se prépare à tirer et, à son tour, il pointe son
arme. Le plan suivant montre la Femme brune dans sa robe noire émergeant
du fond obscur d’une salle et s’avançant vers la caméra. La voix off reprend
sa litanie: «La première fois que je vous aie vue, c’était dans le jardin
de Fredericksbad. Vous étiez seule, un peu à l’écart des autres, debout
contre une balustrade de pierre sur laquelle votre main était posée, le
bras à demi étendu. Vous étiez tournée, un peu de côté de la grande allée
centrale et vous ne m’avez pas vu venir. Le bruit de mes pas sur le gravier
a fini par attirer votre attention et vous avez tourné la tête.» - Je
ne crois qu’il s’agisse de moi, vous devez vous tromper.'»
La caméra
suit le mouvement de tête de la Femme brune et découvre à son côté l’Inconnu
en smoking, qui insiste: «Rappelez-vous. Il y avait tout près de nous
un groupe de pierre sur un socle assez haut. Un homme et une femme vêtus
à l’antique dont les gestes inachevés semblaient représenter quelque scène
précise. Vous m’avez demandé quels étaient ces personnages. Je vous ai
répondu que je ne savais pas. Vous avez fait plusieurs propositions et
j’ai dit que c’était vous et moi aussi bien. Alors vous êtes mise à rire.
(…)».
Désormais, le film le montre, de façon récurrente, désireux
de la convaincre qu’ils se sont connus et aimés. Elle le repousse en prenant,
d’abord, cela pour un jeu, mais paraît, au fil de leurs rencontres successives,
de plus en plus effrayée par les souvenirs qu’il lui rappelle. Peu à peu,
des scènes itératives dans les couloirs de l’hôtel, dans le parc à la
statue ou dans une vaste chambre, imaginées ou réelles, mettent aux prises,
à tour de rôle, l’Inconnu à l’accent italien, l’Homme au visage maigre
et la Femme brune, et sembleraient établir des rapports - passés ou présents
- ambigus entre eux et tisser le fil d’une étrange histoire… La voix de
l’Inconnu accompagne (ou précède) les images montrées et dit un texte
répétitif construit sur des questions ou des affirmations, en une sorte
de volonté de suggestion ou de persuasion, qui s’adresse, sans doute,
à la Jeune Femme brune.
C’est un premier souvenir qui est rappelé à
la jeune Femme brune: elle se tenait contre une balustrade de pierre.
L’Inconnu affirme alors lui avoir parlé, à Fredericksbad, d’une statue
à proximité, érigée sur un socle, qui exposait un couple accompagné d’un
chien dans une position particulière, et avoir entrepris de la lui expliquer.
On les retrouve à l’intérieur du château, vêtus différemment - non
plus une robe lamée pour elle mais une longue robe blanche; un smoking
remplaçant le complet veston pour lui. Elle se trouve en contrebas d’un
escalier et il tend la main vers elle, qui réfute toute rencontre à Frederickbad.
Il consent alors à modifier son assertion sur le lieu du souvenir («Eh
bien! C’était ailleurs peut-être. A Karlstadt. A Marienbad ou même ici
dans ce salon.»). Approche alors L’Homme au visage maigre qui entreprend
à son tour d’expliquer la statue. De nouveau, la jeune femme (en robe
noire, cette fois) et l’inconnu sont en présence. De nouveau, il évoque
cette première rencontre qu’elle récuse avec force. De nouveau, il insiste
et lui «rappelle» qu’elle avait cassé un talon dans le gravier du parc,
(«mais c’était sans doute beaucoup plus tard.») avant de lui révéler
qu’un soir il était monté dans sa chambre.
Les images suivantes les
montrent en train de valser, saisissent des joueurs de cartes et, notamment,
l’Homme au visage maigre et l’Inconnu face à face.
Une série de plans
se succèdent qui les montrent ensemble au bar, mais elle est en robe blanche,
dans une chambre, puis au bar où elle laisse tomber son verre qui se brise
en morceaux qu’un serviteur ramasse sous les regards de tous. La caméra
filme une table de jeu, les invités, les couloirs, des groupes assis ou
debout, revient à la table de jeu. Une brève séquence montre l’Inconnu
devant un miroir dans lequel s’inscrit la jeune Femme brune qui s’immobilise
en le voyant. [40ème mn] On les voit ensuite, de dos, dans une galerie.
La jeune Femme brune s’arrête et se retourne vers. l’Homme au visage maigre
apparu à sa droite qui lui demande si elle va au concert. Sans lui répondre,
elle lui précise qu’elle le retrouvera pour le dîner. Et elle rejoint
l’Inconnu, qui l’attendait, sous le regard de l’Homme au visage maigre,
jusqu’à la salle du concert où ils sont côte à côte, filmés de dos.
Des vues du jardin et de l’allée centrale, des ifs et des silhouettes
d’invités posées dans l’espace comme des pions sur un échiquier précèdent
une séquence où la jeune Femme brune en robe blanche et l’Inconnu en complet
veston clair se trouvent près d’un bassin. Il la caresse; elle lui demande
de la laisser. On les voit derechef assis au concert dans sa robe lamée,
mais, cette fois, la caméra les présente de face: il la fixe; elle regarde
dans le vague, la main gauche appuyée sur son épaule droite. Dans la même
position, mais habillée d’une robe noire, elle a l’air songeuse dans un
vaste salon où elle est assise à une table. L’Inconnu entre derrière elle,
s’assied à une table voisine. Leurs regards se croisent. Il la salue.
Elle le regarde intensément.
Un long dialogue d’une quinzaine de minutes,
à tonalité dramatique, s’instaure entre eux sur de nouvelles images ou
des images récurrentes en de brefs plans coupés
La jeune Femme brune,
dans un long déshabillé en plumes d’oiseau, erre dans la chambre, va à
une fenêtre donnant sur le jardin. On la voit de loin en compagnie de
l’Inconnu. Plan fixe du bassin vu de la fenêtre. Puis habillée de sa robe
noire, elle est assise dans une galerie et lit un livre écrit en allemand
(page gauche), sa photo cachant la page de droite. Plusieurs brèves scènes
les montrent dans le jardin près du bassin dans des tenues différentes.
La jeune Femme brune dans sa robe noire est montrée dans la chambre,
devant la cheminée surmontée du tableau déjà vu (traîneau dans le paysage
de neige), contemplant le lit, des objets de toilettes, un réveil marquant
21 heures, un nécessaire à courrier et une valise, semblant hésiter. Puis
elle s’allonge sur le lit et sort une feuille sur laquelle elle se met
à écrire. On frappe: c’est l’Homme au visage maigre qui s’étonne de ne
pas avoir été entendu. Elle affirme lui avoir dit d’entrer. Il en doute,
fait quelques pas, se saisit d’une photo et lui en demande l’origine et
l’époque. «Je ne sais pas. De l’année dernière.», répond-elle. Elle
précise, à sa demande, que c’est Franck qui l’a prise. Mais il rétorque
que Franck n’était pas là l’année dernière. Elle ajoute, lasse, que c’était
peut-être à Fredericksbad ou que c’était quelqu’un d’autre. Il l’interroge
sur son après-midi et ajoute qu’il l’a cherchée. Elle précise qu’elle
a lu. Mais il veut savoir si elle était dans le parc. Elle précise alors
qu’elle se trouvait dans le petit salon vert. Il remarque que, y passant,
il ne l’a pas vue, lui signale qu’il la trouve inquiète. Elle reconnaît
se sentir fatiguée. Il lui rappelle qu’elle doit se reposer, qu’elle est
là pour cela. Il précise qu’il se rend à la salle de tir et lui demande
si elle a un autre projet que le déjeuner du lendemain avec Anderson.
Elle s’étonne de la question et nie avoir un autre projet. Il la quitte
en lui donnant rendez-vous le soir.
L’image suivante est celle de la
jeune femme brune allongée sur un lit différent, dans une chambre semblable
mais différente elle aussi - le réveil marque toujours 21h - et, cette
fois, dans un déshabillé de plumes d’oiseau blanches. La voix off évoque
le départ de l’homme au visage maigre dont la jeune femme brune suivrait
les pas à l’extérieur sans les entendre. Puis s’inscrit l’Inconnu à l’intérieur
de la chambre, devant la porte. Elle se redresse alors, fait signe de
ne pas bouger et de se taire – sans que l’on sache si elle s’adresse à
lui. L’homme au visage maigre, contre la fenêtre, lève le bras et fait
feu. Plusieurs plans montrent la jeune femme brune qui s’affaisse, le
corps sur le sol, les pieds sur le lit et le doigt encore sur la bouche.
La caméra suit l’homme dans le couloir avant de rejoindre et de montrer
la jeune femme dans sa robe noire et l’inconnu qui finit de lui décrire
la scène pour la refuser («Et maintenant, vous êtes là de nouveau. Non,
cette fin-là n’est pas la bonne. C’est vous vivante qu’il me faut. Vivante,
comme vous l’avez été déjà chaque soir, pendant des semaines, pendant
des mois.» Elle se récrie: «Je ne suis jamais restée si longtemps nulle
part.». Mais il ne cède pas, sa main gauche lui caresse le visage: «Oui.
Je sais. Ca m’est égal. Pendant des jours et des jours. Pourquoi voulez-vous
encore ne vous souvenir de rien.». L’air surpris, («Vous délirez. Je
suis fatiguée. Laissez-moi.») elle le quitte et il la regarde s’éloigner
dans le couloir.
Une nouvelle séquence enchaîne de six brèves scènes
et présente l’inconnu disposant des allumettes, ce qui semble lui rappeler
le salon de jeu où plusieurs invités, lui-même et l’Homme au visage maigre,
disposant de dominos s’apprêtent à jouer, cependant que la jeune femme
brune en robe noire, appuyée sur le chambranle de la porte, les regarde,
aussitôt rejointe par l’Inconnu. Après une coupure, on la retrouve dans
sa chambre, vêtue de son déshabillé de plumes d’oiseau blanches fouillant
le tiroir d’une commode et découvrant de nombreuses photos d’elle prises
en différents endroits du château ou du parc. Un nouveau plan montre le
parc et les deux personnages, au loin, s’y promenant, puis différentes
vues sur la terrasse et les allées. Avant que l’on ne se retrouve dans
le salon de jeu où, au milieu de nombreux invités, se défient l’Inconnu
et l’Homme au jeu des dominos. L’Inconnu admet sa défaite.
S’ensuit
une séquence qui commence par un plan des photos entraperçues précédemment
et disposées sur le sol par la jeune femme brune allongée sur le lit dans
son déshabillé. Puis l’Inconnu est filmé montant le majestueux escalier
intérieur du château. La jeune femme brune, effrayée, le regarde pénétrer
dans sa chambre et s’avancer jusqu’au lit. Elle se recroqueville et s’appuie
sur le dosseret, comme un oiseau pris au piège se protège. Un travelling
arrière de la caméra réduit le champ de vision de la scène à un écran
de petite taille. Lui succède un travelling avant qui suit l’enfilade
d’un corridor (cependant que la voix off de l’Inconnu s’écrie: «Non!
Non! Non! C’est faux! Ce n’était pas de force!») et dont le mouvement
s’accélère simultanément à la fuite des sons de l’orgue joués crescendo
(«Souvenez-vous. Pendant des jours et des jours, chaque nuit. Toutes
les chambres se ressemblent, mais cette chambre-là pour moi ne ressemblait
à aucune autre. Il n’y avait plus de portes, plus de couloirs, plus d’hôtel,
plus de jardin. Il n’y avait plus même de jardin.»), contourne un angle,
donne à voir un nouveau corridor au fond duquel, dans la chambre, apparaît
dans son déshabillé à plumes blanches, apparaît la jeune femme brune,
épanouie, tendant les bras qu’elle ouvre, comme un oiseau prêt à s’envoler
ses ailes, vers celui qu’elle attend, dans le paroxysme de la musique
et d’une lumière surexposée – le travelling avant est repris neuf fois.
Le parc, la nuit, vu du château. Ensuite un mouvement de caméra (travelling
avant puis mouvement tournant) montre, d’abord, l’Inconnu en smoking contre
le socle de la statue et révèle la jeune femme brune en robe noire et
longue cape, lui faisant face à distance. (La voix off raconte: «Au
milieu de la nuit, tout dormait à l’hôtel. Nous nous sommes retrouvés
dans le parc comme autrefois. M’ayant reconnu, vous vous êtes arrêtée.
Nous sommes restés ainsi à quelques mètres l’un de l’autre sans rien dire.
Vous étiez debout devant moi, en attente, ne pouvant faire un pas de plus
ni retourner en arrière. Vous vous teniez là, bien droite, immobile, les
bras le long du corps, enveloppée dans une sorte de longue cape de couleur
sombre, noire peut-être.»)
Retour à la scène nocturne précédente dans
le parc. Ils sont visage contre visage. Mais elle se retourne et se détache
de lui, scrutant la nuit, inquiète, puis conjure: «Disparaissez pour
l’amour de moi'!». Il hésite puis, silencieux, se décide à enjamber
la balustrade. Apparaît alors dans la nuit l’Homme au visage maigre qui
s’avance vers elle. On attend un grondement sourd ponctué d’un cri effrayant
de la jeune femme.
Un cri qui sert de transition sonore avec la scène suivante: la jeune
femme brune en robe noire, au bar de l’hôtel au milieu des invités, poussant
le même cri. L’Homme au visage maigre se dirige vers elle, lui offre un
verre d’eau – on découvre la présence de l’Inconnu à ses côtés - et s’enquiert
(«Un malaise sans doute… Un étourdissement.»/ «Oui. Ce n’est rien.»/«Vous
êtes mieux déjà»/«Oui. Je vais monter.»/«Voulez-vous que l’on vous accompagne»/«'Non.
Je préfère être seule. Je m’en vais.»). Elle monte l’escalier majestueux.
Une série de plans succède à la séquence (la voix off poursuit sa litanie:
«(…) Je partirais ce soir, vous emmenant avec moi. Il y aurait un an que
cette histoire aurait commencé, que vous m’attendiez, que je vous attendrais.
Un an. Vous n’auriez pas pu continuer à vivre au milieu de cette architecture
peinte en trompe-l’oeil, entre ces miroirs et ces colonnes, parmi ces
portes toujours battantes, ces escaliers trop grands, cette chambre toujours
ouverte.)»: l’Inconnu est filmé dans un couloir; la caméra avance dans
un corridor vide; elle montre l’Homme au visage maigre en gros plan immobile;
elle fixe la jeune femme brune et ses deux doubles par le jeu des miroirs;
elle révèle une balustrade brisée.
Nouvelle séquence, cette fois, dans la chambre de
la jeune Femme brune habillée d’un déshabillé clair et allongée sur le
lit en compagnie de l’Homme au visage maigre. Elle l’écoute. Il déplore
qu’elle ne l’aime plus: «Où êtes-vous, mon Amour perdu» Elle proteste:
«Ici. Je suis ici avec vous. Je suis ici avec vous dans cette chambre.»
Il insiste: «Mais non! Ce n’est plus vrai déjà.» Il dit savoir qu’elle
va le quitter le lendemain. L’air perdu, elle lui demande de l’aider,
insiste: «Aidez-moi. Je vous en supplie, aidez-moi. Prenez-moi la main.»
Mais il met en avant son propre mal-être: «Vous savez bien qu’il est
trop tard. Demain, je serai seul. Je passerai la porte de cette chambre
qui sera vide.» Elle a beau protester («Non. J’ai froid. Non…»), il
se lève et quitte la chambre. La voix off de l’Inconnu interfère sur les
leurs, qui commente: « Une fois éloigné celui qui est peut-être votre
mari, que peut-être vous aimez, que vous allez quitter ce soir pour toujours
sans qu’il le sache encore, vous avez rangé quelques objets personnels,
préparé ce qu’il fallait pour changer rapidement de tenue.» Un plan en
plongée de la table de jeu aux dominos disposés en cercle succède aux
images de la chambre. (Cependant que la voix off poursuit sa litanie…:
«Il était convenu que nous partirions dans la nuit. Mais vous avez voulu
laisser encore une chance à celui qui vous retenez encore, semble-t-il.
Je ne sais pas. J’ai accepté. Il aurait pu venir vous reprendre.»)
A l’écran défile de nouveau, partiellement, la séquence initiale de l’affiche
du spectacle «Rosmer» (et du fondu au noir qui ouvre sur le début du
spectacle) vue à la 6ème minute du film. (La voix off poursuit son commentaire…)
«L’hôtel était désert, comme abandonné. Tout le monde se trouvait à cette
soirée théâtrale, annoncée depuis si longtemps, où vous avez dispensé
votre malaise. C’était, je crois… Je ne me souviens plus du titre. La
pièce ne devait s’achever que tard dans la nuit. Après vous avoir quitté
sur la lit, allongée dans votre chambre, il s’était dirigé vers la salle
du petit théâtre où il avait pris place au milieu d’un petit groupe d’amis.
Il faudrait qu’il revienne avant la fin du spectacle s’il voulait vraiment
vous retenir.» La jeune Femme brune vêtue d’un manteau est assise au
pied du grand escalier et déchire une feuille en plusieurs morceaux qu’elle
étale sur une table avant de les froisser et de les garder dans sa main
refermée. «Vous vous êtes habillée pour le départ et vous avez commencé
à l’attendre, seule, dans une sorte de hall de salon que l’on devait traverser
pour rejoindre votre appartement. Par quelque superstition vous m’avez
demandé de vous laisser jusqu’à minuit. Je ne sais pas si vous espériez
ou non sa venue. J’ai même pensé un instant que vous lui aviez tout avoué
et fixé l’heure à laquelle il vous retrouverait. Ou bien vous pensiez
peut-être que moi-même seulement je ne viendrais pas.» La caméra amorce
un mouvement ascensionnel pour saisir l’Inconnu qui descend l’escalier
et se penche vers la jeune femme brune. «Je suis venu à l’heure dite.»
La voix off s’est tue. L’orgue joue brièvement et précède le silence.
La jeune femme, filmée en plongée, lève le regard vers l’Inconnu d’un
air confiant. Il descend l’escalier. Gros plans sur leurs visages. Elle
se lève et ils s’en vont, traversant côte à côte le vaste hall d’entrée.
L’orgue accompagne leur départ. Descend ensuite l’Homme au visage maigre
filmé dans l’escalier. Un gros plan fixe longuement son visage qui scrute
le hall, cependant que la voix off se fait une dernière fois entendre:
«Le parc de cet hôtel était une sorte de jardin à la française, sans
arbre, sans fleur, sans végétation aucune; le gravier, la pierre, le
marbre…»
[Succède au visage de l’Homme au visage maigre, un dernier
plan fixe de quelques fenêtres éclairées sur une façade invisible, plongée
dans la nuit.] «… La ligne droite, qui marquaient des espaces rigides,
des surfaces sans mystère. Il semblait au premier abord impossible de
s’y perdre. Au premier abord. Le long des allées rectilignes, entre les
statues aux gestes figées et les dalles de granit où vous étiez, maintenant,
déjà, en train de vous perdre pour toujours dans la nuit tranquille, seule
avec moi.»