Secret Sunshine de Lee Chang-dong

  • Titre original : Milyang (밀양)
  • Réalisation : Lee Chang-dong
  • Production : Lee Hanna, Kim In Soo , Lee Chang-dong
  • Scénario : Lee Chang-dong d'après une histoire originale de Yi Chong-jun
  • Musique originale: Christian Basso
  • Directeur de la photographie : Cho Yong-kyou
  • Montage : Kim Hyun
  • Acteurs:
    • Jeon Do-yeon : Shin-ae
    • Song Kang-ho : Jong Chan
    • Jo Yeong-jin
    • Kim Mi-kyung
    • Kim Yeong-jae
  • Durée: 142 mn (2h 22)
  • Dates de sortie: mai 2007 (Corée, Festival de Cannes) ; 17 octobre 2007 (France)
  • Prix d'interprétation féminine au festival de Cannes en 2007 pour Jeon Do-yeon

Lorsque Shin-ae débarque à Milyang, la ville natale de son époux, le nom de la bourgade signifie « ensoleillement secret » (d'où le titre Secret Sunshine), explique-t-elle à des habitants qui s'en moquent, on la croit au bout du malheur. Elle a décidé de fuir Séoul et vient de tomber en panne de voiture et arrive dans une dépanneuse. Son mari, dont on apprendra très vite qu'il la trompait, est mort dans un accident, la laissant seule pour élever leur fils, June. Elle cherche le calme, la nature, elle ne trouvera que la violence. Pour vivre, la voilà amenée à donner des leçons de piano. Ce parcours, déjà peuplé de deuils et de chagrins, n'est qu'un début ; car, un jour, le petit June est enlevé et assassiné, malgré une remise de rançon qui lui a fait vider son compte en banque.

Déjà instable, Shin-ae se brise. Incapable de pleurer, elle se rend évidemment monstrueuse aux yeux de sa belle-famille. Elle devient la proie rêvée de diverses tentations consolatrices. La religion, d'abord, dans laquelle l'entraîne une pharmacienne chrétienne, profondément évangéliste. Shin-ae s'y englue, avant d'en mesurer l'hypocrisie et la vacuité. Puis le sexe. Mais c'est une autre impasse. La mort, enfin, qui la refuse. La folie la tente un moment, mais elle en réchappe.

À chaque épisode, qu'il filme vraiment comme les chapitres d'un apprentissage, Lee Chang-dong utilise son héroïne comme un cobaye de laboratoire, observant longuement - trop, jugeront les allergiques à la dissection des sentiments - les étapes d'une renaissance. Il est aidé par une comédienne exceptionnelle, Jeon Do-yeon, Prix d'interprétation à Cannes, qui parvient presque à changer de visage en fonction de ses états d'âme successifs. Le film s'apparente donc à une épopée intimiste.

À aucun moment, le réalisateur ne charge ses personnages, aucun n'est vraiment bon ni vraiment mauvais, pas même le déséquilibré qui a tué l'enfant. Lorsque Lee va lui rendre visite en prison, pour lui accorder son pardon, elle tombe sur un illuminé inerte, imperméable aux sentiments. Même cette démarche généreuse est inutile : l'homme se moque de son pardon, il a été décervelé par la religion, prétend avoir été déjà pardonné par Dieu. Le drame de Lee n'est pas tant dans les épreuves qu'elle traverse et sa manière de les surmonter, y compris lorsqu'elle tente d'apaiser sa misère sexuelle, que dans l'incapacité des autres à la comprendre, à lui proposer autre chose qu'un amour de Dieu stéréotypé et désincarné, à percevoir l'invisible de son être, à vivre avec elle une relation authentique.

Symbole de ce refus inconscient du passage à l'acte, un garagiste jovial, bonne pâte, combinard et éternellement épris d'elle, qui lui colle aux basques, mais impuissant, incapable de passer de l'indéfectible affection à une déclaration, une relation amoureuse. Le choix, de la profession de ce soupirant emprunté est un cruel clin œil, un signal inquiétant quand on sait que son époux est mort d'un accident de la circulation.

Secret Sunshine est aussi une impitoyable étude de mœurs qui renvoie dos à dos la famille et sa scène d'invectives lors des funérailles du fils, le frère de Lee et sa froide indifférence, les voisins, dos tournés et hypocrisies, les chrétiens évangélistes, très actifs en Corée, conservateurs et fanatiques. Ils prônent le culte de l'Esprit, les chants mystiques, mais restent tentés par l'adultère, à l'image du pharmacien inhibé, et n'offrent à la victime d'autre réconfort que le culte des prières, c'est-à-dire un masque pour cacher la réalité. Le point de rupture est atteint quand, appliquant les principes de l'Évangile, Lee se rend à la prison pour accorder son pardon à l'assassin de son fils. Elle est désemparée quand elle le découvre serein. Lee est entourée de braves gens figés dans leurs égoïsmes. Elle essaye en vain de se révolter, de saboter une réunion de prières, mais rien ne peut perturber les certitudes des croyants endoctrinés

Secret Sunshine est un mélodrame, genre très prisé en Corée, mais un mélo pas comme les autres. Il ne s'agit pas d'y montrer comment l'héroïne réagit en "Mère Courage" et finit par triompher de l'adversité : littéralement anéantie, Lee hurle son désespoir dans une chapelle, la douleur lui oppresse la poitrine, elle se mutile, dérive, inexorablement condamnée à une tragique solitude. Il ne s'agit pas non plus de prouver que Lee peut compter sur le soutien de la société, c'est l'inverse.

Il ne s'agit surtout pas d'un film brillant, lyrique, habile à tirer les larmes : la beauté de Secret Sunshine est dans sa léthargie, sa sobriété, son économie d'effets, sa neutralité, sa façon de raconter l'histoire sans avoir l'air d'y toucher. Lee Chang-dong détruit le mélodramatique de l'intérieur, égrenant le calvaire de son héroïne avec la même distance qu'il met pour filmer, de très loin et de très haut, la disparition du fils et la découverte de son cadavre.

Le film égrène les strophes d'une fatalité. La disparition du fils est annoncée dès le début par des scènes prémonitoires, lorsqu'il s'amuse à faire le mort ou à se cacher dans la maison, anticipant ainsi son enlèvement. Secret Sunshine commence par un plan sur le ciel et finit par un plan sur la terre. C'est une fresque de plus de deux heures qui ne suit, en fait, qu'un seul destin, tout en failles et en désillusions, en cris de douleur et de haine : une femme rompue, au bord de la survie, une femme qui ne cesse de frôler le gouffre pour mieux s'arrêter, à peine consciente de l'« ensoleillement secret » annoncé par le titre. Cet ensoleillement est loin d'être une guérison et la fin est loin d'être optimiste. Il ne reste à Lee que la vie, (La Vie et rien d'autre pour paraphraser Tavernier) c'est peu mais c'est Tout.