Adieu Philippine de Jacques Rozier

  • Coproduction franco-italienne
  • Réalisation : Jacques Rozier
  • Scénario : Michèle O'Glor & Jacques Rozier
  • Directeur de la photographie : René Mathelin
  • Musique originale de Jacques Denjean, Paul Mattei et Maxime Saury
  • Format: Noir et blanc
  • Durée : 108 min
  • Sortie en France : 25 Septembre 1963
  • Interprétation : Jean-Claude Aimini (Michel), Daniel Descamps (Daniel), Stefania Sabatini (Juliette), Yveline Céry (Liliane), Vittorio Caprioli (Pachala), David Tonelli (Horatio).

Michel Lambert travaille comme stagiaire à la télévision. Il rencontre Liliane et Juliette à la sortie des studios. Michel, jeune machiniste bientôt militaire, éblouira sans peine Liliane et Juliette, inséparables. Ils lient très rapidement connaissance et se retrouve le soir même. Michel hésite entre les deux jeunes filles. Les deux filles s'amourachent donc de Michel qu'elles veulent d'abord aider à débuter au cinéma. Elles lui présentent Pachala, un producteur bidon, qui fera tourner aux trois jeunes gens, sans d'ailleurs pouvoir le terminer, un film publicitaire grotesque.

Puis elles tenteront en vain d'obtenir un sursis d'incorporation au jeune homme qui, désireux de profiter de ses derniers jours de liberté avant son départ pour l'Algérie, comme appelé du contingent, se fait mettre à la porte de la télé et part en vacances en Corse. Liliane, Juliette et Pachala rejoignent bientôt la Corse pour "réaliser" un roman photo. Les jeunes gens se retrouvent en Corse et les journées s'écoulent dans la joie des loisirs estivaux, mais aussi dans l’ambiguïté de l'hésitation de Michel et de la rivalité de Liliane et Juliette. L'ordre de mobilisation de Michel met fin à cette parenthèse ensoleillée.

Un mot sur le titre, "philippine" désigne des entités jumelles, comme des amandes "philippines", dans un langage populaire un peu désuet. Il signale ici le caractère interchangeable, pour Michel, des deux jeunes filles. Le film ne sera présenté au public qu'en septembre 1963. Ce retard est dommageable car la guerre d'Algérie qui représente le futur incertain et dangereux du personnage principal a pris fin entre-temps.

A travers ce film assez classiquement consacré à la jeunesse et à ses marivaudages, Jacques Rozier nous livre un vision assez marquée dans le temps mais néanmoins très libre des rapports garçons-filles. Bien que Jacques Rozier ne fasse pas partie des fondateurs de la Nouvelle-Vague, ce film est à plus d'un titre emblématique de ce mouvement et de cette période. On y voit la jeunesse tenter d'échapper à la sclérose d’un monde fermé sur lui-même. Ces jeunes évoluent librement, sans pudeur, mais sans excès, jouissant d’une indépendance qu’ils revendiquent en se détachant du milieu familial.

Lors de la séance du repas familial où Michel déjeune avec ses parents, ceux-ci paraissent déphasés par rapport à la mentalité de la génération de Michel. Les relations garçons-filles sont traités avec beaucoup de délicatesse. Ils sont empreints de franchise, de justesse et de liberté. La recherche du plaisir se déroule en cédant aux exigences du corps et de l’esprit mais dans le respect de l’autre. Le départ de Michel à la fin de Adieu Philippine n'est pas triste. Le tonus accumulé durant le film, la volonté du réalisateur que ça continue contredisent et dépassent la noirceur de l'événement final. Malgré la difficulté de vivre, sur laquelle Rozier ne jette aucun voile, passe une vitalité joyeuse, une santé rieuse et tendre, émaillés d'éclats de pure loufoquerie, soudain obscurcie par de sombres bouffées venues d'Algérie, le temps d'un insert sur le film "Montserrat" évoquant la torture, ou du silence d'un copain "qui en revient".

La mise en scène et la photographie renforcent cette impression de fraîcheur et de liberté. Les images sont claires et parfaitement lisibles. Comme dans Les 400 coups de Truffaut, Hiroshima mon amour de Resnais, A bout de souffle de Godard, Le signe du Lion de Rohmer, Ascenseur pour l'échafaud de Malle, Cléo de 5 à 7 de Varda, La jetée de Marker, Lola de Demy, Paris nous appartient de Rivette, Adieu Philippine montre des gens qui marchent qui voyagent et qui partent. Pas parce que l'endroit où vont les gens est important pour l'intrigue, et pas non plus comme séquence de transition.

Le plus souvent dans les rues de Paris, ils marchent parce qu'on marche dans la vie, ils marchent parce que le cinéma est un cinéma en mouvement, ils marchent parce que le réalisateur éprouve un tel bonheur de filmer que cette activité devient le signal de l'élan que ces films impriment au cinéma. Avec ces personnages en vadrouille, c'est le monde qui s'engouffre dans le cinéma et sur la bande-son, où bruits du quotidien, voix, in ou off, conversations surprises ou rajoutées, informations de la radio, musiques arrangées ou pas, contribuent non à l'enregistrement du réel, cette version policière du réalisme, mais au dévoilement d'un monde multiple.