Alice ou la Dernière Fugue, film français de Claude Chabrol, sorti en 1977. Un film étrange et peu connu de Chabrol, qui mérite une vision attentive.
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Critique Le film commence assez étrangement. Dans une première
scène en intérieur dans un grand appartement, qu'on devine vaguement
parisien. Alice Carroll, interprétée par Sylvia Kristel,
l'intellectuelle érotique d'"Emmanuelle" écoute longuement,
sans qu'il y ait eu aucun générique, la conversation de son mari trentenaire.
Le générique arrive enfin sur Alice, un peu fragile, un
peu perdue, qui roule sous la pluie battante en se remémorant ou en
imaginant les arguments de son ex-mari pour qu'elle ne parte pas. Le
pare-brise de la voiture se fendille. Alice le perce d'un coup de poing
emmitouflé dans un chiffon, mais rien n'y fait, avec cette pluie, on
n’y voit rien, avec ou sans pare-brise. Elle s'arrête dans une propriété
où elle est accueillie par Henri Vergennes, grand bourgeois, châtelain
même, et son majordome. Le sujet, ouvertement fantastique sans qu'on n’y croie
totalement, est bien sûr largement et ouvertement inspiré de ALICE
au pays des merveilles de Lewis CARROLL, sans que ce soit un décalque.
On y retrouve le sens de la logique de Lewis Carroll. C'est dans la
mise en scène que c'est le plus étonnant. Le cadre est vraiment beau,
mais semble dans le même temps banalisé, sans chercher le lyrisme.
Chabrol construit un labyrinthe logique et spatial. Géographiquement,
le montage est très efficace et spatialise les décors, avec une efficacité
redoutable, mi-fantastique, mi-roublarde. Le décor est beau, mais simple. Pas d'effets spéciaux
compliqués. Chabrol utilise un jeu de leviers de mise en scène rigoureux
: chorégraphie des entrées et sorties d'acteurs dans le plan, mais jeu
assez naturel à l'intérieur de celui-ci ; utilisation systématique du
champ / contrechamp mais avec une subtilité car, dans ce découpage
frontal, Il peut se faire que "quelque chose" ou "rien"
habite le contrechamp. Les acteurs sont très bons, utilisés avec intelligence et espièglerie. Silvia Kristel, qui avait déjà deux films de la série "Emmanuelle" dans son palmarès, balbutie le français, mi-improbable mi-touchante, mais toujours avec une belle dévotion et une belle énergie, dans un mélange de timidité et de confiance absolue dans le metteur en scène. A l'inverse du cinéma de Alfred Hitchcock et à l'instar de celui-ci de Fritz Lang, l'univers de Claude Chabrol odéit à la fois aux lois de la physique et de la pesanteur, ce qui est vu est toujours objectif, réel, tangible. Ce qui est subjectif, c'est la vision, l'interprétation qu'en a celui qui regarde. Dans Alice ou la dernière fugue, l'héroïne tente désespérément de s'échapper de la propriété où elle a été recueillie après son accident, en fonçant à tombeau ouvert, droit dans le paysage. A chaque fois, un obstacle l'arrête et la ramène à son point de départ, comme si elle ne pouvait franchir la paroi de verre qui la sépare de la réalité. Lorsque cette frontière, à la fois obstacle et protection, est brisée, dans la dernière séquence, il y a confusion entre l'imaginaire et le réel, l'intérieur et l'extérieur, donc la mort devient nécessaire. Des morceaux de bravoure, il y en a des dizaines. On notera la fuite en voiture, l'effet déformant dans un effet spécial sublime et simplissime, l'horrible dernier dialogue avec Carmet, le disque qui passe dans la scène avec l'homme de 40 ans, l'incroyable contournement du mur qui se termine par une scène complètement délirante. La double fin nous surprend : que s'est-il passé dans le noir quand Alice a poussé la petite porte ? Le spectateur pourrait évidemment lire a posteriori la seconde partie du film comme l'un de ces évanouissements où, paraît-il, on revoit sa vie tout entière en quelques instants. La musique peut aider à y voir un peu plus clair. Nous entendons au cours du film deux mouvements du concerto de piano n°24 (K 491), concerto qui exprime les épreuves et les combats que doit affronter l'homme pour maîtriser cette vie et lui donner un sens. Mais nous n'entendrons pas le troisième et dernier mouvement. Le double final du film est aussi un aveu d'incomplétude, qui contribue en partie seulement à évacuer l'angoisse. Il tempère paradoxalement le pessimisme qui l'emporterait dans sa tonalité générale. |
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