L'Aurore, film américain de Friedrich Murnau

L'Aurore, film américain de Friedrich Murnau, sorti en 1928.

Sur une trame mélodramatique, Murnau nous livre une inoubliable tragédie, le chant de deux êtres vulnérables à l’extrême, livrés aux forces du mal.

  • Titre original : Sunrise
  • Réalisation : F. W. Murnau
  • Scénario et découpage : Carl Mayer d'après A trip to Tilsitt (Histoires lithuaniennes) de Hermann Sudermann
  • Images : Charles Rosher et Karl Struss
  • Musique additionnelle : Hugo Riesenfeld
  • Production : Fox Film Corp.
  • Noir et blanc
  • Durée : 117 min (11 bobines)
  • Date de sortie: 23 décembre 1927 (USA)
    9 mars 1928 (France)

Distribution:

  • Georges O'Brien : L'homme
  • Janet Gaynor : La femme
  • Bodil Rosing : La Servante
  • Margaret Livingstone : La femme de la ville
  • J. Farrel Mac Donald : Le Photographe
  • Ralph Sipperly : Le Coiffeur
  • Jane Winton : La Manucure

Critique

Le sous-titre de L'Aurore est son meilleur résumé:A song of two humans. C'est un ode à l'amour fou, un poème cinématographique marquant la fin du muet et annonçant déjà l'ère du parlant. L'Aurore de Friedrich Wilhelm Murnau demeure à ce jour l'un des plus beaux films de l'Histoire du cinéma. Séduit par Le Dernier des hommes, William Fox avait convaincu Murnau de traverser l'Atlantique pour travailler à Hollywood avec des moyens illimités. Son nouveau projet: une adaptation libre d'un roman de l'écrivain allemand Hermann Südermann.

La trame paraît simpliste -un homme, deux femmes et la passion qui vient mettre en danger le couple initial-, mais L'Aurore est une éclatante démonstration de la force du cinéma pour exprimer des sensations et des émotions. Murnau parvient à créer l'illusion d'une vie réelle sur l'écran. Grâce à de magnifiques effets de mise en scène, la magie opère: les personnages existent, la ville s'anime, la nature éblouit. On croit entendre le brouhaha du tramway, le ruissellement de l'eau, les sanglots de l'angélique Janet Gaynor et les cris de rage de George O'Brien.

L'action se passe à n'importe quelle époque en n'importe quel pays. C'est l'été le temps des vacances et du tourisme dans un village situé au bord d'un lac. Un paysan délaisse sa femme et son bébé. Il est attiré par une touriste, une vamp venue de la ville. Elle veut l'emmener là-bas, faire en sorte qu'il se débarrasse de sa femme. "Ne pourrait-on la noyer ?" Le paysan bondit pour étrangler sa maîtresse qui a eu cette idée. La tentative d'étranglement se transforme en étreinte passionnée... Le mari invite Indre pour une promenade en barque. Il ébauche son dessein criminel mais il n'a pas la volonté d'aller jusqu'au bout.

Indre, épouvantée par le geste de son mari, se réfugie dans un tramway qui va vers la ville. Ansass la rejoint et ne sait comment se faire pardonner. La visite de la ville est, pour eux, le départ d'une vie conjugale nouvelle. Un salon de coiffure, un restaurant, l'ambiance de Luna Park, un atelier de photographe, un dancing sont autant de lieux privilégiés où le couple redécouvre le bonheur avec les yeux émerveillés de l'amour soudain renaissant.

Le retour en barque est perturbé par un violent orage. Indre tombe à l'eau accidentellement. Les paysans du village organisent une recherche à la lueur des lanternes. Alors qu'Ansass désespère de retrouver sa femme vivante, on vient lui annoncer qu'elle est sauvée. A l'aurore, la femme de la ville quitte le village.

Pour Jacques Lourcelles, "L'œuvre la plus symphonique, la plus synthétique, la plus cosmique et en définitive la plus lumineuse de Murnau. Sur l'invitation de William Fox (qu'avait enthousiasmé Le dernier des hommes", Murnau part travailler en Amérique. Il bénéficiera là-bas d'une liberté totale et d'un budget plus vaste que tout ce qu'il avait connu jusque là."

Adapté d'une nouvelle de Sudermann (qui finissait mal), le film contient quatre mouvements. La première partie va jusqu'à la tentative de meurtre, la seconde commence avec la fuite de l'épouse du bateau vers le tram et s'achève par le pardon à la sortie de l'église et la vision champêtre au milieu des voitures. Puis vient la peinture comique du bonheur retrouvé des deux époux dans ce paradis irréel, ludique et exotique de la ville ; enfin, le retour vers le village oblige le héros à subir les conséquences de son intention, non exécutée de meurtre.

Le film est beaucoup plus allemand qu'américain car l'expressionnisme y est encore très présent avec une utilisation virtuose du plan séquence avec profondeur de champ.

Le film pourrait aussi bien appartenir au genre épique, racontant le mythe de l'homme et de la femme, qu'au mélodrame avec le bien et le mal pesant sans cesse sur les actions même les plus dérisoires (les gâteaux partagés, le bouquet de rose) ou encore au drame sentimental : la jeune femme récupérant son mari quand elle a dissipé la vision publicitaire que la vamp a inscrite en lui.

C'est en effet à une véritable opération de décillement que se livre le film : la brune vient de la ville où, comme nous le montrent les premières séquences, règne la publicité. Elle veut vendre à l'homme l'image d'une ville faite de bruits, de lumières et de plaisirs entêtants. Or la ville est faite de plaisirs et de dangers beaucoup plus terrestres : un photographe farceur, un cochon de foire d'un côté et des automobiles ou des hommes un peu trop empressés de l'autre. Pour renouer avec sa femme, l'homme devra d'abord voir l'image d'un vrai mariage pour comprendre le sien, accepter de ne pas poser de manière figée et profiter du baiser impulsif que lui demande sa compagne et enfin et surtout accepter la danse paysanne.