Dans la pénombre d’un parking souterrain, deux hommes transportent sans bruit quelque chose de lourd qu’ils chargent au fond d’un coffre de voiture. Ce n’est pas un cadavre, mais on y pense. Le personnage principal, dont la cargaison se révèle n’être qu’un simple sac de riz, n’a, en fait, rien d’un criminel. Heshmat, père de famille, semble irréprochable, et sa vie, bien réglée. On le suit dans son quotidien, il aide sa femme dans les courses, les tâches ménagères, il s’occupe de sa veille mère, est gentil avec sa fille. C’est un archétype d’obéissance. Il se lève à 3 heures du matin pour rejoindre son lieu de travail. On le voit dans une petite pièce où il se prépare une collation. Des lumières rouges, puis vertes s'allument sur un panneau, Heshmat presse un bouton, déclenchant la pendaison de plusieurs hommes en ouvrant la trappe sous leurs pieds. Pouya n'a pas de chance. Il fait son service militaire et a été affecté dans la prison où les conscrits prennent part aux exécutions des condamnés à mort. Il ne peut supporter cette idée, et il (ainsi que ses camarades de dortoir) passe une nuit blanche à essayer de trouver un moyen de ne pas collaborer à l'exécution prévue au matin. Il en parle à plusieurs reprises au téléphone avec son amie Tamineh, avec laquelle il rêve de quitter l'Iran. Lorsqu'au matin, il doit accompagner le condamné sur le lieu de l'exécution, il se rebelle, dérobe l'arme du geôlier qui l'accompagne et arrive à s'échapper de la prison. Dehors, Tamineh l'attend dans une voiture. Ils quittent la ville, en écoutant la chanson Bella ciao sur leur autoradio. Mohammed Rasoulof sait l’art de la mise en scène, des signes de tension disséminés avec soin et des plans qui tombent comme des couperets. Cette rigueur esthétique est d’autant plus remarquable qu’il réalise ce film en semi-clandestinité, contraint d’employer toutes sortes de stratagèmes pour pouvoir tourner. Sans rien renier de son courage politique. Car le cinéaste iranien affronte ici, à travers quatre histoires, distinctes, autonomes mais reliées par le fil rouge de la peine de mort , le thème de la responsabilité individuelle et du sens du devoir qui pousse à dire non. Ces quatre histoires ont valeur de contes moraux. Les deux dernières histoires se déroulent loin de la ville, à travers une nature resplendissante. Dans « Jour d’anniversaire », un soldat en permission rejoint à l’improviste sa bien-aimée entourée des siens, avec l’intention de la demander en mariage. Il arrive à un mauvais moment : un ami très proche de la famille, esprit libre et activiste, vient d’être exécuté. Confrontée à plusieurs épreuves coup sur coup, la promise témoigne d’une force de caractère exemplaire. Avec « Embrasse-moi », la dernière histoire, il s’agit un voyage lointain, tant géographique qu’existentiel, depuis l’Allemagne jusqu’au fin fond d’un village perdu de montagne, qu’effectue une jeune femme de 20 ans. Son oncle, médecin interdit d’exercer qui vit seul avec sa compagne, a tenu à la voir. Cet homme dont elle sait peu de choses veut lui confier ce qui a scellé sa vie, un choix radical, un acte de résistance ayant réclamé un lourd sacrifice. Dans le film, la désobéissance peut conduire à l’isolement, à la destruction, à la privation de ceux qu’on aime. La présence à l’image de Baran Rasoulof, la propre fille du cinéaste, qui interprète la nièce d’Embrasse-moi, n’est pas innocente. À travers elle se joue le possible chagrin infligé aux proches, tant le courage inclut aussi l’égoïsme, la fierté à vouloir être héroïque. Reste que ce combat obstiné contre la violence du despotisme s’avère un formidable moyen de salut. À la fin d’un des épisodes, il mène à la délivrance. La noirceur et la gravité du sujet n’empêchent pas les couleurs éclatantes. Les paysages verts et mordorés, les fleurs, le miel, la rivière, mais aussi la danse et la musique, tout ce qui est symbole de vie s’invite volontiers. Au-delà du simple réquisitoire, le film est traversé par des flux d’amour où les femmes, même au second plan, jouent un rôle déterminant. Très actives par leur manière de nuancer, ou de rompre s’il le faut. C’est dans leur foi énergique, leur conviction profonde, que surgit l’espoir d’une refonte de la société iranienne, vers plus d’humanisme. . |
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Distribution
Fiche technique
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Mohammad Rasoulof, réalisateur iranien né en 1973 à Chiraz Mohammad Rashtouf a étudié la sociologie à l'Université de Chirazpuis le montage cinématographique à l'institut d'études supérieures Sooreh de Téhéran. En décembre 2010, il est arrêté avec Jafar Panahi, avec qui il coréalise un film, pour « actes et propagande hostiles à la République Islamique d'Iran ». Mohammad Rasoulof est condamné à un an de prison et Jafar Panahi à six ans. Les manuscrits ne brûlent pas est présenté au Festival de Cannes 2013, en sélection Un certain regard, dont il remporte le Prix FIPRESCI. Un homme intègre est présenté au Festival de Cannes 2017, en sélection Un certain regard, dont il remporte le Prix Un certain regard. Pour ce même film, Reza Akhlaghirad remporte le prix du meilleur acteur au Festival international du film d'Antalya 2017. Ce film lui vaut des ennuis dans son pays (passeport confisqué, convocation à un interrogatoire) des autorités qui l’accusent d'activités contre la sécurité nationale et de propagande contre le régime. Le 23 juillet 2019, il est condamné à un an de prison pour propagande contre le régime. Le Diable n'existe pas remporte l'Ours d'Or de la Berlinale 2020. Filmographie
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