Flamme et Femme  (炎と女, Honô to onna) de Kijû Yoshida, film japonais , sorti en 1967

Shingo et Ritsuko ont un enfant, Takashi, âgé de 19 mois. Ils passent pour un couple heureux. Mais bientôt Ritsuko cherche à savoir qui est le vrai père de Takashi, né par insémination artificielle.

À partir de ce point de départ, Yoshida s’intéresse à la notion de la norme familiale et de ses codes et les fait voler en éclat. A l’instar d’une de ses héroïnes, il étudie l’être humain à la manière d’un ornithologue et file la métaphore de l’oiseau durant tout le film. C’est de mâle et de femelle que Yoshida nous parle, d’une mère et de sa couvée, du rôle biologique qui lui est assigné : la femelle doit être forte pour assurer la survie de l’espèce . Derrière, le mâle veille et domine. « Tu es ton père tout craché » affirme les amis, sans savoir que l’enfant n’est pas de lui.

Flamme et femme se construit en bribes de vies assemblées indistinctement ; de flashback en flashback Ritsuko remonte un temps déstructuré, au rythme des souvenirs qui affluent ; ils permettent de comprendre comment la jeune mère a pu en arriver à un tel refus de la situation, quasiment obligée par son mari : de l’ère du couple uni au refus de porter la semence d’un autre en passant par la grossesse. L’insémination est ressentie par elle comme un viol avec la sensation d’avoir servi de contenant, d’objet. Il est rare de montrer la grossesse comme un tel moment de cauchemar, d’angoisse avec aussi peu d’épanouissement, de non désir de l’enfant.

Telle une intrigue de film d’angoisse, Ritsuko tire sa revanche de femme de sa désormais toute puissante condition de mère, ce qui crée un sentiment d’extrême inconfort voire même de malaise quand émergent ces fantasmes d’infanticide nés d’un ressentiment proche du désir de vengeance. Mais, comme la Rosemary de Polanski, Ritsuko doit faire tout un cheminement avant d’accepter son rôle de mère. Yoshida questionne la loi biologique et la loi sociale : qu’est ce que la loi du sang ? L’enfant appartient-il à celui qui l’a créé ou à celui qui l’élève ? Qu’appelle t’on des parents ? Tant de thèmes qui n’ont pas perdu de leur force aujourd’hui, mais qui se dote d’une tonalité d’autant plus subversive quand on l’applique à la mentalité japonaise.

Yoshida prend plaisir à perdre le spectateur dans une fusion passé/présent/fantasme/réalité. Les faux-semblants du présent, apparaissent par la plongée dans le passé. Fantômes non avouables, culpabilité du désir et de la pulsion sexuelle. L’emploi de la surexposition et des éblouissements visuels pour traduire les émotions extrêmes anticipe déjà sur la stylisation d’Eros+Massacre. La façon d’agencer deux visages dans un même plan, son intrication des narrations, des confessions et des non-dits enfin avoués, des abcès douloureusement percé, enfin cette récurrence visuelle d’un jeu de miroirs comme reflet de la quête d’identité rappellent Bergman et en particulier Persona (1966) au point que Miko Okada finisse parfois par ressembler à une Liv Ullman japonaise.

A l’arrivée, la loi biologique suprême est détruite, la morale l’emporte sur le sang. Ritsuko recrée le lien à rebours avec la procréation artificielle pour que le lien filial soit crée même si à l’arrivée elle fera un choix différent, car pour elle après avoir couché avec le père biologique de son enfant, elle aura pu restituer l’acte sexuel fondateur et offrir à l’enfant l’identité du père réel. Par cette obligation de passer par le charnel, Ritsuko peut enfin revenir vers le mari et l’autoriser à élever son fils. Dès lors qu’elle connaît le père elle peut enfin se sentir mère et réintégrer le nid familial.

Ce film constitue probablement l’apogée de cette période de la Nouvelle Vague Japonaise, dans laquelle la beauté formelle s’accorde le plus à la narration, au service d’un propos extrêmement subversif et d’un point de vue qui n’avait jamais atteint une telle cruauté. On a plus que jamais la sensation que l’obsession de Yoshida résulte d’un fantasme d’identification à la femme, d’être elle, de ressentir ce qu’elle ressent, quel est son rapport à son corps, à sa sexualité, quelle est sa souffrance. La femme le fascine, il veut en montrer la beauté mais ne cesse de vouloir en sonder les mystères et tel une mission, de fustiger tous les excès de l’homme. Il est le cinéaste homme fustigeant le danger et l’aliénation du regard masculin. Aussi, le cinéma de Yoshida s’érotise et à mesure qu’il se fait charnel, les sentiments se refroidissent.

Distribution

  • Mariko Okada : Tatsuko Ibuki
  • Isao Kimura : Shingo Ibuki
  • Mayumi Ogawa : Shina Sakaguchi
  • Takeshi Kusaka : Ken Sakaguchi
  • Kazuo Kitamura : Fujikida
  • Toshiyuki Hosokawa ... Homme

Fiche technique

  • Titre original : 炎と女, Honô to onna
  • Titre français : Flamme et Femme
  • Réalisation : Kiju Yoshida (Yoshishige Yoshida)
  • Scénario: Kiju Yoshida ; Takeshi Tamura ; Masahiro Yamada
  • Producteur : Akira Oda
  • Musique originale : Teizô Matsumura
  • Image : Yuji Okumura
  • Noir et blanc
  • Montage : Kazuo Ota
  • Durée : 101 mn
  • Date de sortie : 1er décembre 1967