De nos frères blessés, film français réalisé par Hélier Cisterne, sorti en 2020

 


Dans les années 50, une rencontre anodine dans un café se transforme en une relation passionnée pour Hélène et Fernand. Originaire d'Algérie, ce dernier parvient à convaincre sa fiancée de le suivre pour commencer une nouvelle vie à Alger, dans un pays alors au bord de la guerre civile. Bouleversé par les exactions dont il est témoin, Fernand choisit de prendre fait et cause pour la libération du pays des mains et de rejoindre les rangs des partisans de l'indépendance. Aux côtés de son meilleur ami, Henri Maillot, et de plusieurs autres camarades, il milite pour que les Arabes aient davantage de droits. La guerre n’est pas encore visible, le combat pour une Algérie libre tâtonne, source de divisions. Yveton décide un jour de poser une bombe dans son usine. L’attentat ne vise personne, il est consciencieusement planifié comme du sabotage, l’objectif étant de plonger la ville dans le noir. Mais la bombe est désamorcée et Iveton, arrêté.

Torture, procès qui vire à la mascarade dans un tribunal militaire, absence de soutien de la part de la métropole. Hélier Cisterne, prend soin, pourtant, de juguler le pathos en apportant une forme d’innocence et de fraîcheur. Le film, construit en puzzle, avec une chronologie éclatée, est politique, mais c’est aussi une histoire d’amour, simple et forte, entre Fernand et Hélène, jeune mère polonaise, fière et entreprenante, qui a fui le régime stalinien. Le sujet du communisme, qui les oppose forcément au début, donne lieu à une scène de querelle à la fois véhémente et savoureuse. On y sent déjà leur attirance qui sera plus forte que l’idéologie.

Vincent Lacoste, qui échappe avec maîtrise de ses rôles d'adolescent attardé et Vicky Krieps, vraie révélation, forment un couple parfait. Dans leur rencontre au bal, dans les scènes de baignade ou de dîner avec les amis se dégage un parfum d’insouciance, qui rappelle parfois le cinéma populaire d’avant-guerre. Cette insouciance ne disparaît jamais tout à fait, même quand les événements prennent une tournure plus dangereuse. S’il est parfaitement conscient des risques encourus, Iveton manifeste, dans son idéalisme, une part d’ingénuité qui le voue sans doute à l’échec. Sa bravoure et celle de son épouse, qui ne passe pas à l’action mais sait tout et a accepté, non sans tension, de rester auprès de son homme, réveillent le souvenir de ces couples humbles et unis engagés dans la Résistance.

Le film est très proche du roman de Joseph Andras, lui-même fidéle aux faits historiques concernant Yveton et son ami, Henri Maillot.


Faits historiques

Fernand Iveton , est né le 12 juin 1926 au Clos-Salembier (Algérie)

Son père, Pascal, recueilli par l'Assistance publique d'Alger , militant communiste et syndicaliste est employé à Gaz d'Algérie. Sa mère, Encarnación Gregori, était née en Espagne.

Ami depuis l'enfance de son voisin du Clos-Salembier, l'aspirant Maillot, Fernand Iveton est ouvrier tourneur à l'usine à gaz du Hamma de l'EGA à Alger où il est délégué syndical, affilié à la Confédération générale du travail (CGT), puis à l'Union générale des syndicats algériens (UGSA). En juin 1955, il devient membre des Combattants de la libération, l'organisation militaire du Parti communiste algérien (PCA) interdit, aux côtés notamment d'Abdelkader Guerroudj, Georges Acampora, Yahia Briki, Félix Colozzi et Mohamed Hachelaf. À la suite de l'accord FLN-PCA du 1er juillet 1956, il intègre le Front de libération nationale (FLN) à titre individuel avec un certain nombre de ses camarades.

Il se propose, en octobre 1956, pour réaliser un sabotage à l'aide d'une bombe dans l'usine à gaz du Hamma où il travaille. La prise de contact a lieu avec la militante Jacqueline Guerroudj, épouse d'Abdelkader Guerroudj, qui est désignée par le FLN pour lui remettre deux bombes fabriquées par Abderrahmane Taleb, mais Iveton ne peut en transporter qu'une seule et lui laisse l'autre.

Le 14 novembre 1956 à 14 h, il dépose la bombe dans un placard d'un local désaffecté de l'usine. L'objectif est un sabotage purement matériel qui a pour but de provoquer une panne d'électricité à Alger et Iveton prend des précautions afin que l'explosion n'occasionne pas de victime. Il a demandé que la bombe soit réglée pour exploser après le départ des ouvriers.

Iveton est repéré par un contremaître de l'usine, Oriol, qui se méfie de lui et l'a vu entrer dans le local avec son sac de plage et en ressortir les mains vides. Oriol prévient son chef, Carrio, et ils pénètrent tous les deux dans le local désaffecté où ils entendent le bruit de la minuterie de la bombe. Iveton est arrêté à 16 h 20. La bombe est désamorcée par les militaires. Il n'y a ni dégâts, ni victimes.

Du 14 au 17 novembre 1956, Fernand Iveton est torturé au commissariat central d'Alger au moyen de décharges électriques sur le corps et du supplice de l'eau.


En application des pouvoirs spéciaux demandés par le président du Conseil, le socialiste Guy Mollet, et votés par l'Assemblée nationale en mars 1956, il est jugé par le tribunal militaire d'Alger. Défendu par deux avocats commis d'office — le Parti communiste français ayant d'abord interdit qu'il le soit par l'avocat communiste Gaston Amblard —, il est condamné à mort pour « tentative de destruction d'édifice à l'aide d'explosifs », le 24 novembre 1956, à l'issue d'une journée d'audience.

Le pourvoi d'Iveton devant le tribunal de cassation militaire est rejeté le 3 décembre 1956.

Jacqueline Guerroudj est arrêtée le 4 janvier 1957. Elle tente en vain, par ses déclarations à la police, de sauver Iveton.

N'ayant pas tué, Iveton croit à sa grâce plaidée par l'avocat communiste Joë Nordmann qui s'est joint aux avocats commis d'office, Albert Smadja et Charles Laînné. Mais son recours est refusé le 10 février 1957 par le président de la République, René Coty, après avis défavorable du garde des Sceaux de l'époque, François Mitterrand et du président du Conseil, Guy Mollet. Il est guillotiné le 11 février 1957, à 5 h 10, dans la cour de la prison de Barberousse, à Alger. Avec lui, deux militants nationalistes, Mohamed Ben Ziane Lakhnèche et Ali Ben Khiar Ouennouri, dits « Ali Chaflala » et « P'tit Maroc », sont également décapités.

Il est le seul Européen parmi les 198 prisonniers politiques guillotinés de la guerre d'Algérie. Me Albert Smadja, son avocat commis d'office, témoin de l'exécution, rapporte qu'avant de mourir Fernand Iveton déclara : « La vie d'un homme, la mienne, compte peu. Ce qui compte, c'est l'Algérie, son avenir. Et l'Algérie sera libre demain. Je suis persuadé que l'amitié entre Français et Algériens se ressoudera. ».


Henri Maillot dit l'aspirant Maillot est né à Alger le 11 janvier 1928, mort à Lamartine, aujourd'hui El Karimia, le 5 juin 1956

Né à Alger en 1928 dans une famille pied-Noir, ami depuis l'enfance de Fernand Iveton, son voisin du Clos-Salembier, Henri Maillot était militant du Parti communiste algérien (PCA). Secrétaire général de l'Union de la Jeunesse Démocratique algérienne, il représenta l'Algérie dans des congrès de la jeunesse à Prague et à Varsovie. Il fut aussi employé par le quotidien Alger Républicain, proche des communistes. La répression qui frappe les musulmans après le massacre du Constantinois en août 1955, marque profondément Henri Maillot, qui va alors confirmer ses choix politiques et se joindre aux Algériens engagés dans la lutte pour l'indépendance. Maillot se considérait avant tout comme Algérien. Dans sa lettre adressée à la presse, il écrivait : « Je ne suis pas musulman, mais je suis Algérien, d'origine européenne. Je considère l'Algérie comme ma patrie. »


En 1956, Henri Maillot est affecté au 57e bataillon de tirailleurs de Miliana, avec le grade d'aspirant. Le 4 avril 1956, il déserte et détourne un camion d'armes et de munitions pour rejoindre un groupe de maquisards communistes qui s'était constitué dans la région d'Orléansville sous la responsabilité d'un membre du bureau clandestin du PCA, Abdelkader Babou. Quelques jours plus tard, il adresse aux rédactions des journaux français une lettre où il écrit notamment : « Au moment où le peuple algérien s'est levé pour libérer son sol national du joug colonialiste, ma place est aux côtés de ceux qui ont engagé le combat libérateur ».

Le 22 mai 1956, Henri Maillot est condamné à mort par contumace pour trahison par le tribunal militaire d'Alger. Le 5 juin 1956, le groupe de huit maquisards du « maquis rouge » que commandait Henri Maillot est surpris par les troupes françaises près de Lamartine dans la région d'Orléansville. Trois membres du groupe sont tués au combat : Belkacem, Hammi et un Européen, Maurice Laban, membre du Parti communiste algérien, ancien combattant de la guerre d'Espagne et ancien résistant. Henri Maillot, quant à lui, est pris vivant puis confié aux gendarmes mobiles. Après deux heures de torture on lui dit de filer. Il part à reculons en criant « Vive le Parti communiste algérien ! » et s'écroule sous une rafale.

 

 

Fiche technique:

  • Réalisation : Hélier Cisterne
  • Scénario : Katell Quillévéré , Hélier Cisterne, avec la collaboration de Antoine Barraud et librement adapté du roman homonyme de Joseph Andras, publié en 2016
  • Musique : Emile Sornin
  • Photographie : Hichame Alaouié
  • Montage : Thomas Marchand, Marion Monnier, Lila Desiles
  • Production : Justin Taurand
  • Sociétés de production : Les Familles du Bélier, Frakas Productions, Laith Média, France 3 Cinéma
  • Pays de production : France, Belgique, Algérie
  • Durée : 95 minutes
  • Dates de sortie : 6 octobre 2020 (Festival international du film de Saint-Jean-de-Luz) ; 23 mars 2022 (sortie nationale)

Distribution

  • Vincent Lacoste  : Fernand Iveton
  • Vicky Krieps : Hélène Iveton
  • Meriem Medjkane : Baya
  • Myriam Ajar : Jacqueline Gerroudj
  • Maximillien Poullein : Félix Colozzi
  • Jules Langlade : Jean-Claude

 

Hélier Cisterne, né en 1981, est un réalisateur et scénariste français.

Originaire du Lot et après un bac littéraire « option cinéma » passé à Brive-la-Gaillarde au lycée d'Arsonval, Hélier Cisterne suit des études de philosophie à l'université Paris-VIII où il réalise son premier court métrage à 22 ans.

Il vit en couple avec la cinéaste Katell Quillévéré .

Filmographie

Courts métrages

  • 2008 : Les Paradis perdus

Moyen métrage

  • 2006 : Les Deux Vies du serpent

Longs métrages

  • 2013 : Vandal
  • 2020 : De nos frères blessés

Télévision

  • 2015 : Le Bureau des légendes : réalisateur principal (5 épisodes)

Récompenses

  • 2008 : Prix Jean-Vigo du court métrage pour Les Paradis perdus