Jakob Störr est capitaine au long cours, au cours d’une rencontre dans un café, ce capitaine au long cours, ce quadragénaire à qui on a dit que le mariage serait la meilleure solution pour le guérir de ses tourments physiques et psychologiques, annonce brutalement à son interlocuteur qu’il va épouser la première femme qui entrera dans l’établissement. Cette femme, c’est Lizzy et Jakob tient parole en se présentant auprès d’elle. A la fois perplexe et amusée par la proposition, Lizzy l’accepte assez rapidement. De la part de Lizzy, est-ce amusement, intérêt ou coup de foudre ? De la part de Jakob, ce serait la naissance d’un sentiment amoureux tout à fait sincère. Le principal problème du couple, c’est que Jakob est toujours capitaine au long cours et, de ce fait, très souvent absent pour des périodes prolongées. Il sait, bien sûr, que, durant ces périodes, Lizzy ne reste pas cantonnée seule dans leur appartement parisien et il se persuade très vite que Lizzy le trompe régulièrement durant ses absences alors que lui-même, de son côté, a des tentations qu’il réfrène tant bien que mal. Si Lizzy le trompe, ce pourrait être, pense-t-il, avec Dedin, un de ses amis, un écrivain avec lequel Jakob a une relation très tendue. En fait, Jakob, qui impressionne par son calme et son professionnalisme lorsqu’il officie en tant que capitaine sur un bateau, est un homme que la vie en société, sur la terre ferme, a tendance à désarçonner. Il arrive qu’un amour fou suive un chemin tortueux pour, d’abord, se concrétiser et, ensuite, s’égarer dans un sentiment malfaisant, une jalousie maladive. Sous l’apparence classique d’un film en costumes, un univers très symbolique se met en place. La vie maritime y devient le reflet de l’assurance trompeuse de l’homme, qui ne maîtrise qu’un navire, flottant sur des profondeurs dangereuses dont il ne mesure pas le mystère. La possession était son but, le voilà possédé par Lizzy. Et du même coup dépossédé du pouvoir qu’il croyait avoir. Au fil d’un film fleuve, la réalisatrice conduit tranquillement son capitaine vers l’intranquillité. Sans rien appuyer, sans user de ficelles psychologiques pour mener une histoire qui retomberait, sinon, dans le drame bourgeois, elle crée un univers romanesque d’une richesse captivante. La limpidité d’un concerto de Bach ouvre le chemin d’une union placée sous le signe de l’évidence. Les notes sensuelles puis sombres d’une symphonie de Bruckner transforment, au contraire, en phénomène d’étrangeté une scène de sexe. Toute la gamme de l’amour est passionnément jouée sous nos yeux. À travers les étreintes et les bras de fer de ces époux, le film semble s’inspirer des courants marins pour dessiner leurs forces contraires, leurs élans contrariés. Sans céder à la facilité, Ildikó Enyedi s’empare des préoccupations actuelles sur les relations de pouvoir entre les deux sexes et les ouvre au questionnement, à l’incertitude fructueuse. En s’appuyant sur des comédiens remarquables, elle explore la fragile solidité masculine, incarnée par Gijs Naber, qui joue le capitaine, et effeuille les contrastes de la féminité avec Léa Seydoux en Lizzy, héroïne spontanée et indéchiffrable, aimante et distante, coupable et innocente. Entre le mari et sa femme, Louis Garrel représente le parfait danger dans cette traversée qu’est le mariage. Une carte du Tendre brillamment recomposée. Malgrè la durée de près de 3 heures, le professionnalisme de Ildiko Enyedi arrive à écarter pour le spectateur toute forme de lassitude. Film sur la jalousie, certes, mais également film sur l’importance de la confiance mutuelle dans un couple, L’histoire de ma femme est déroulé sous la forme de 7 chapitres qui racontent l’évolution de la relation entre Jakob et Lizzy, chaque chapitre ayant un titre en relation avec cette évolution. La réalisatrice a l’habileté, tout au long du film, de laisser planer le doute quant à la sincérité des sentiments de Lizzy pour Jakob, alors que ce dernier est de plus en plus persuadé que sa femme le trompe allègrement, le spectateur a plutôt l’impression, sans en avoir la certitude absolue, que c’est lui qui se trompe et que sa femme l’aime vraiment. |
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Fiche technique
Distribution
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Ildikó Enyedi est née le 15 novembre 1955 à Budapest (Hongrie) Après le lycée, elle étudie à l’université de Montpellier en 1974, puis de 1975 à 1978 l'économie à l’université Karl Marx, et de 1979 à 1984 à la haute école de théâtre et de cinéma dans la classe de Zoltán Fábri mais n’obtient pas de diplôme. De 1978 à 1984, elle est membre du groupe d'artistes INDIGO. En 1984, elle devient assistant réalisateur chez Mafilm. Elle est conférencière au collège de théâtre et de cinéma depuis 1989. Après avoir réalisé plusieurs courts métrages au studio Béla Balázs ; son premier long métrage, Mon XXe siècle , est présenté en 1989 au Festival de Cannes 1989 dans la section Un certain regard où il remporte la Caméra d'or. En 2011, elle obtient son doctorat de l'Université d'art dramatique et cinématographique. En 2017, son film Corps et Âme (A Teströl és Lélekröl) remporte l'Ours d'or à la Berlinale 2017. Filmographie
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