La Servante ( Hanyeo 하녀 ) film coréen de Kim Ki-young, sorti en 1960


Professeur de piano, Kim Dong-sik enseigne la musique aux jeunes ouvrières d'un atelier de tissage. Avec sa petite famille, celui-ci ne va pas tarder à emménager dans une plus grande maison, et, pour soulager sa femme des travaux domestiques, cherche à employer une servante. Une de ses élèves lui présente alors Myeong-sook, jeune fille , qui ne tarde pas à montrer un comportement trouble et ambigu une fois intégrée dans la maison. Folle amoureuse de Kim Donk-sik, cette dernière va alors s'adonner à un petit jeu démoniaque promis à détruire cette famille banale et sans histoire.

Objet totalement hybride et inhabituel, La Servante évoque immédiatement de nombreuses références cinématographiques comme les Diaboliques (1955) de Clouzot. Psychose d’Hitchcock, ou encore un des premiers films d’Ôshima Contes cruels de la jeunesse, sont sortis peu de mois avant, en 1960 et même si le rapprochement est évident, on ne peut pas savoir si le réalisateur les avait vus avant de tourner. De ces références, Kim Ki-young semble avoir nourri un intérêt pour la peinture frontale, ironique et cruelle de ses contemporains, flirtant avec une grandiloquence qui, si elle fait toujours sens, pourrait déconcerter les spectateurs d’aujourd’hui.

Le scénario est, en apparence, ce qu’il y a de plus classique, une servante s’immisce dans le quotidien d’un foyer apparemment structuré pour y mettre un désordre morbide et pulsionnel. Si le canevas n’a cessé de faire des petits par la suite comme Théoreme jusqu'à Parasite, Kim Ki-young a ici la singularité de scruter ses personnages avec une cruauté très frontale. Dès le début du film, le réalisateur parsème celui-ci d’indices qui nous éclairent sur le dérèglement à venir d’un système de valeurs pour lequel la jeune servante n’est qu’un révélateur inconscient : l’homme, professeur de piano, s’endette pour répondre aux exigences matérialistes de sa femme tandis que leur plus jeune fils prend un malin plaisir à humilier sa grande sœur dont le handicap relèverait, pour ses parents, d’une absence de volonté. Débauchée d’une usine où le mari dispense des cours de musique, la domestique est introduite dans le foyer par une pimbêche manipulatrice qui n’est pas totalement étrangère au suicide de l’une de ses camarades.

Le film doit absolument être replacé dans le contexte politique de son époque. Peu avant sa sortie, le dictateur Park Chung-Hee arrive au pouvoir en Corée du Sud à la suite d'un coup d'État, et installe un régime militaire qui, au prétexte de moraliser la vie publique, met en place une politique de répression. C'est lors de la seule et unique année de liberté d'expression ayant eu lieu dans le pays entre 1948 (date de sa création) et 1987 (date des premières élections libres) que La Servante sort dans les salles. La nécessité d'exprimer tout ce qui avait été refoulé pendant la guerre et la dictature explique sans doute en partie l'incroyable violence du film. Celle-ci tient aussi au caractère provocateur de son réalisateur, Kim Ki-young. Sans vouloir se risquer à la psychanalyse de toute une nation, les séquelles de la guerre ne sont pas étrangères au climat délétère qui règne de bout en bout.

Kim Ki-young multiplie les zooms suivis de fondus enchaînés pour précipiter la fin de chaque plan et montrer ainsi le caractère inéluctable de la destinée des personnages. Le réalisateur choisit souvent des plans en contreplongée pour écraser les personnages et rendre le cadre étouffant. La narration est rythmée par les scènes d'orage, qui font ruisseler l'eau sur les vitres, par les mouvements des portes à glissière, par le bruit de la machine à coudre de la maitresse de maison et le son du piano.

On peut voir dans la trilogie de La Servante, constituée en fait de quatre films, le film originel de 1960, La Femme de feu (Hwanyeo, 1971), La Femme-insecte (1972) , La Femme de feu 82 (1982) , une mise à mort symbolique du père, de sa déchéance, dans un pays dominé par la corruption puis la dictature. Le film peut aussi être envisagé comme l'illustration d'un triple conflit : entre tradition et modernité, entre ville et campagne, ou plus encore entre classes plébéiennes et petite-bourgeoisie. La servante, femme fatale , est originaire de la campagne et reflète en cela son époque. Dans un pays profondément rural, qui n'a pas encore connu la révolution des hautes technologies, les jeunes migrantes ne trouvent pas d'emploi dans les usines, qui sont rares et ne peuvent guère qu'être servantes, prostituées ou occuper des emplois de service.

Kim Ki-young rassemble les éléments d'un mélodrame qu'il fait peu à peu glisser vers le film d'horreur, par la violence des situations et des rapports entre les personnages, l'extrémité des conduites mises en mouvement par la jeune servante qui devient la manipulatrice de la maison. L'ascension sociale dont rêve la servante s'effectue par la séduction, celle du maître de maison. Tout s'exprime dans un décor presque unique , un huis clos sur deux étages. L'escalier qui relie les deux niveaux exprime à la fois le désir d'ascension et la peur de chuter. Pourtant, le film de Kim Ki-young n'est pas une fresque, il est même à la limite de la miniature, confiné pour l'essentiel dans un intérieur petit-bourgeois bondé.

Le canevas du film a été repris abondamment. On peut citer Théorème de Pier Paolo Pasolini ( 1968 ), le mauvais remake d' Im Sang-soo ''The Housemaid '' (2010), mais surtout le génial Parasite (2019) de Bong Joon Ho . Ici, le tour de force de Kim Ki-young est plutôt de flirter avec un rapport de classes et de ne jamais jouer un jeu hypocrite avec le spectateur. L’outrance n’est pas gratuite et participe du dynamitage de certaines valeurs, privé de sa volonté de faire des choix ou de résoudre des problèmes, l'homme incarne la vision du cinéaste, celle d'un être à la masculinité plombée par l'inertie, contrastant avec une féminité incarnée par une volonté farouche de suivre ses désirs .

 

Fiche technique:

  • Titre original : Hanyeo 하녀
  • Réalisation et scénario : Kim Ki-young
  • Musique : Han Sang-gi
  • Photographie : Kim Deok-jin
  • Montage : Oh Young-keun
  • Production : Kim Young-cheol
  • Société de production : Korean Munye Films Co. Ltd.
  • Durée : 108 minutes
  • Dates de sortie : Corée du Sud : 3 novembre 1960
    • France : 15 août 2012 (reprise, version restaurée inédite)

Le négatif original est découvert en 1982, mais les bobines 5 et 8 sont manquantes. En 1990, une copie originale comportant des sous-titres anglais écrits à la main est retrouvée et utilisée pour compléter la copie originale. En 2008, la World Cinema Foundation décide de restaurer le film. Pour restaurer le film, il a fallu travailler à partir de bobines sous-titrées en anglais. Le travail a consisté à éliminer les sous-titres et reconstituer l'image cachée par les sous-titres

Distribution

  • Lee Eun-shim : Myeong-sook, la servante
  • Kim Jin-kyu : Kim Dong-sik, le professeur de piano
  • Joo Jung-nyeo : la femme de Kim Dong-sik
  • Eom Aeng-ran : Cho Gyeong-hee, l'ouvrière et élève de Kim

 

Kim Ki-young scénariste et réalisateur sud-coréen né à Séoul le 10 octobre 1919
il et décéde avec son épouse, au cours d'un incendie, le 5 février 1998, dans sa ville natale.

Kim Ki-young entre en 1946 à l'École de dentisterie de Kyungsung, où il rencontre sa future épouse, Kim Yu-bong. Celle-ci financera, par ailleurs, la plupart de ses films. Il abandonne ensuite sa carrière médicale et participe à des projets théâtraux. Ses premières réalisations cinématographiques dénotent une influence néo-réaliste. Son neuvième film, La Servante (1960) témoigne d'une nouvelle orientation confirmée dans ses réalisations ultérieures.

Auteur de plus d'une trentaine de films en quarante ans de carrière (de 1955 à 1995), Kim Ki-young demeure très peu connu en Europe. Son œuvre est pourtant révérée par les jeunes générations de cinéastes sud-coréens. En France, la Cinémathèque française lui a consacré une rétrospective du 29 novembre au 24 décembre 2006. La Servante (Hanyo), « mélodrame paroxystique et cruel qui met en scène la vampirisation d'une famille ordinaire par une jeune femme diabolique », a fait l'objet d'une reprise en 2010, réalisée par Im Sang-soo.

Filmographie simplifiée

  • 1955 : La Province de Yangsan (Yangsan do)
  • 1960 : La Servante (Hanyo)
  • 1963 : Les Funérailles à la Koryo (Goryeo jang)
  • 1964 : Asphalt
  • 1969 : Renui aega
  • 1971 : La Femme de feu (Hwanyeo)
  • 1972 : La Femme-insecte (Chungyo)
  • 1974 : Transgression (Pagye)
  • 1976 : L'Amour des liens du sang (Hyeolyukae)
  • 1977 : Iodo
  • 1982 : La Femme de feu 82 (Hwanyeo'82)
  • 1984 : Carnivore (Babo sanyan)