Le vent se lève de Ken Loach
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En 1920, l'Armée républicaine irlandaise a pris les armes contre l'occupant britannique, dans l'espoir de mener l'ultime bataille d'une guerre qui a commencé au XIIe siècle. Pour garder l'Irlande dans le giron du royaume, Londres a envoyé des troupes dont l'armature est faite d'anciens combattants de la première guerre mondiale, et de volontaires protestants. Ken Loach débute son film par une partie de hurling, dans la lande irlandaise, entre chien et loup. Ce jeu traditionnel irlandais, sorte de hockey, est méprisé par les anglais. Les gars sur le terrain se connaissent tous, cela n'empêche pas le jeu d'être musclé, malgré la présence d'un arbitre. La partie terminée, tout le monde se réconcilie autour d'une cigarette. Les battes sont à peine rangées qu'une brigade de soldats britanniques fait irruption, aboie ses ordres, contrôle les identités dans la ferme voisine : insultes racistes, brutalité, qui dissimulent à peine la panique latente de militaires en milieu hostile, et la conclusion logique de cette histoire que l'humanité aime à répéter : l'exécution d'un innocent, sommaire, ignoble mais presque fortuite, car son seul tort est de ne pas avoir prononcé son nom à l'anglaise. Le jeune Damien O'Donovan y assiste. Il s'apprête à regagner l'Angleterre pour commencer sa carrière de médecin. Cette atrocité et la bêtise d'un militaire à la gare le font basculer : après un séjour en prison, Damien rejoint l'IRA, où il retrouve son frère Teddy, qui est en train de monter dans la hiérarchie de l'organisation. On retrouve toutes les étapes du film de résistance : l'initiation du jeune combattant à la cruauté, les choix difficiles entre la protection des populations et l'offensive contre l'ennemi. Teddy et Damien sont les deux figures autour desquelles s'organise l'action du film, et que les événements vont peu à peu opposer. Au début, Damien fait tout pour être à la hauteur de son frère. Zélé, il tente même de se faire passer pour lui lorsqu'ils sont tous deux en prison, espérant épargner celui qui a plus de poids au sein de l'IRA. Teddy et Damien sont comme les deux doigts de la main. Lorsque les Britanniques torturent le premier, le deuxième est là pour le soigner puis le remplacer dans ses responsabilités. Quitte à effectuer le sale boulot. Epreuve effrayante, qui le transforme à jamais : abattre à bout portant un traître fait prisonnier, un jeune paysan à peine sorti de l'adolescence. " J'ai franchi un cap. Je ne ressens plus rien ", dit-il peu après. Seuls comptent à présent l'intérêt général et l'honneur du devoir accompli. La guerre qu'ils mènent est artisanale (et Loach, qui aime montrer les gens au travail, sait très bien mettre en scène les bricolages approximatifs qui font une guérilla), faite de longs moments d'ennui entrecoupés de paroxysme de violence. Les maximes de l'insurrection prennent ici une réalité amère : n'attaquer l'ennemi qu'en position de force signifie tirer un camion de Britanniques comme des lapins ; être comme un poisson dans l'eau veut dire que les populations seront soumises à de terribles représailles. Pire même, les familles ayant accueilli les insurgés feront les frais des divisions de ceux-ci dans la seconde partie, et subiront les mêmes vexations que de la part des Anglais. Arrive le moment fatal où la guerre d'indépendance vire à la guerre civile, et fratricide au sens strict du mot. Les espoirs se brisent d'un coup, les compromissions stoppent l'élan, les conflits d'intérêts prennent le dessus. Dans le camp irlandais, les réunions sont houleuses, les partisans du traité de paix avec les Britanniques jurent que c'est un premier pas, les autres que c'est un recul. Chacun a ses raisons, mais Loach, en marxiste convaincu souligne que cette opposition se double d'un affrontement entre les libéraux et les possédants, soutenus par l'Église catholique d'un coté et les socialistes purs et durs de l'autre. Même si on devine que Loach a choisi son camp, les deux adversaires sont traités avec la même compassion. C'est toute la force du film, modèle de construction, qui tend souterrainement mais sûrement vers la tragédie. De manière dense et concise, Loach parvient à combiner le général, l'histoire politique et militaire, et le particulier, le parcours des deux frères. Il reste toujours concret, direct et sec. Le vent se lève n'est pas un film de guerre, mais un film sur les déchirements d'un peuple. Les coups de feu n'y occultent pas les débats. Le désastre de ces affrontements y suscite une émotion tenue et inspire cette image finale : une femme à genoux, en pleurs, devant une maison brûlée. Ce n'est pas la première fois que Ken Loach s'intéresse à la cause
irlandaise. Au début des années 1970, le scénario de Wednesday Plays
fut récusé par la BBC. En 1976, le cinéaste parvenait à évoquer le conflit
dans une série télévisée, Days of Hope : il dénonça le rôle répressif
de l'armée britannique sur le sol irlandais ainsi que les propriétaires
anglais qui s'enrichissent aux dépens du peuple depuis des siècles.
Au moment de la réalisation du film, le débat sur l'intervention britannique en Irak était à son apogée. A voir le comportement de ces uniformes qui injurient, éructent, humilient et exécutent de sang-froid, on peut y voir un régiment de marines en croisade contre un Mal fantasmatique. Comment, en voyant ces monstres hystériques s'acharner sur leurs proies désarmées, ne pas penser aux tortures exercées par des troupes anglo-saxonnes sur des prisonniers irakiens ? Le titre original du film est celui d'une complainte irlandaise : The Wind that Shakes the Barley - le vent qui agite l'orge. Il convient mieux au film que l'épique Le vent se lève. Pour Loach, le vent de l'histoire souffle et agite les hommes sans plus d'égards qu'il n'en témoigne pour les épis. A chaque fois qu'il a mis en scène ce spectacle, Loach a pris parti. Il continue de le faire, mais il y met une sérénité, une compassion qui font du Vent se lève l'un de ses films les plus émouvants. |