En banlieue de Liège (Belgique), Bruno, vingt ans, Sonia, dix-huit ans
vivent ensemble de l'allocation perçue par Sonia, des larcins commis par
Bruno et les gamins de sa bande. Sonia vient de donner naissance à Jimmy
mais Bruno peut-il en devenir le père ?
« Travailler, c’est pour les cons ». Bruno, lui, préfère s’amuser. Et
s’amuser, pour lui, c’est acheter et vendre. Voler et escroquer. Menus
larcins, petits trafics qu’il effectue avec la complicité de quelques
gamins, notamment Steve. Jimmy, le gamin, pour Bruno, c’est une marchandise
comme une autre. Sans le dire à sa compagne, il l’a déjà vendu pour une
somme qui va, enfin, les tirer d’affaire. Il est, donc, totalement stupéfait
par la réaction de Sonia, lorsqu’elle s’aperçoit de la disparition de
son bébé. Elle s’évanouit et, transportée à l’hôpital, le dénonce à la
police. "Ben quoi, balbutie Bruno, je pensais qu’on en ferait un autre…"
Le cœur du film, ce sont les longues scènes où Bruno, suivant des instructions
compliquées qui ressemblent à un cérémonial, abandonne son fils dans l’appartement
d’un immeuble. Puis celles où, devant le désespoir de Sonia, le récupère
auprès de malfrats qui, instantanément, lui demandent une somme exorbitante
qu’il n’a pas.
On retrouve, alors, les mises en scènes frémissantes des précédents films
des Dardenne (La Promesse, Rosetta, Le Fils) . Leur goût pour révéler,
par les sons, ce que cachent, parfois, les images. Leur talent à créer,
dans chaque scène, un suspense discret et diffus. Car, chez eux, un danger
plane constamment sur les personnages, qu’ils en soient conscients (comme
Rosetta) ou non (comme l’apprenti du Fils).
Ici, le danger qui menace Bruno, c’est lui. En vendant son fils, c’est
lui-même qu’il vend. Il traîne, alors, pathétique et dérisoire, en poussant,
dans les rues, un landau vide qu’il va, naturellement, essayer de vendre,
puisqu’il ne sait faire que ça. Rejeté par Sonia, il cogne à sa porte,
sans comprendre ce qu’il a bien pu faire de mal. Il le lui a rendu, ce
gamin, alors que veut-elle de plus ? Est-ce qu’elle va cesser, enfin,
de faire l’idiote ?
Rosetta était un constat politique. Le Fils, une méditation spiritualiste
sur le travail de la grâce. L’Enfant est le résumé inversé des deux. A
l’inverse de Rosetta, Bruno ne s’accroche pas au travail comme seule identité
possible. Il ne cherche pas à percer un mystère, comme Olivier Gourmet
dans Le Fils. Mais lui aussi aboutit à une sorte de no man’s land imprévu,
lui aussi s’engouffre dans l’inconnu. Et le voilà, soudain, perdu, dépassé.
Avec l'Enfant, les frères Ardenne remportent au Festival de Cannes leur
seconde Palme d'Or et imposent ainsi un cinéma profondément humain, un
cinéma du mouvement et de l'action, en livrant une vérité abrupte qui
surgit des corps et des regards. Une œuvre magistrale, âpre, généreuse
et vibrante tout à la fois.
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