Retour à Séoul film français réalisé par Davy Chou , sorti en 2022


À l’accueil d’un hôtel de Séoul, une fille à la beauté du diable emprunte les écouteurs de la réceptionniste, déjà subjuguée, pour écouter un morceau de vieille pop coréenne : Flower Petals de Lee Jung-hwa et Shin Jung-yun (1969) . Il s'installe, alors, une drôle d’atmosphère à la fois mélancolique et psychédélique. À l’image de l’héroïne, Freddie, omniprésente, et qui s’impose comme l’un des personnages féminins les plus singuliers du cinéma récent. C’est sur un coup de tête que Freddie, 25 ans, a pris un avion pour la Corée, ce pays où elle est née, a été abandonnée bébé, puis adoptée par un couple de Français. Freddie est une impulsive, au virage soudain, que ce soit pour s’enivrer avec des inconnus, coucher avec un jeune homme qui n’en demandait pas tant, ou décider de reprendre contact avec ses parents biologiques.

Ce drôle de film d’aventures raconte une quête des origines, mais pas seulement, car il n’est pas simple de découvrir qui l’on est, et, surtout, où l’on veut aller. La narration s'étale sur une décennie, avec un art remarquable de l’ellipse, sur le chemin bizarre d’une fille forcément étrange, puisqu’étrangère à ses propres racines.

Très loin des histoires souvent trop balisées sur la réconciliation avec soi-même, Retour à Séoul enchaîne des bribes d’existence pour montrer la construction chaotique d’une personnalité. Le réalisateur capte chaque émotion contradictoire de Freddie, incarnée entre ultraviolence et ultravulnérabilité, par la non-actrice Park Ji-min, artiste plasticienne, elle-même née en Corée du Sud et arrivée en France à 8 ans. Freddie n’est pas une tendre, elle aime bousculer les autres et se perdre. Le film dérive et se casse avec elle, au fil de fausses fins et de rencontres qui sont aussi de fausses pistes : ainsi, une nuit de sexe avec un marchand d’armes sera plus importante dans la trajectoire de la jeune femme que les retrouvailles avec un père biologique qui boit et pleure beaucoup.

Film sur la rage de trouver sa place, Retour à Séoul impressionne aussi par son esthétique, dans des décors qui hésitent entre Wong Kar-wai, la nuit, et Hong Sang-soo, le jour. Et quand Freddie semble enfin apaisée, ce film captivant se boucle selon une philosophie aussi étonnante que son héroïne, qui ne s’oblige pas à être sympathique : la liberté, c’est savoir s’émanciper de toutes les identités qu’on vous assigne.

Divy Chou déclare
Une amie, Laure, est née en Corée du Sud, et a été adoptée en France à l'âge d'un an. Elle est retournée dans son pays de naissance pour la première fois à vingt-trois ans, et y a vécu deux ans avant de repartir en France. On s'est retrouvés à Busan, et après deux jours de festival, on a pris un bus, puis je me suis retrouvé à déjeuner avec son père et sa grand-mère biologiques. Cette expérience m'a remué. Dans cet échange, il y avait tout un mélange d'émotions, de la tristesse, de l'amertume, de l'incompréhension, des regrets. Il y avait même une dimension tragi-comique car on sentait qu'ils n'arrivaient pas à se comprendre. On avait emmené une traductrice et elle avait du mal à transcrire les élans de colère de mon amie, à les transposer avec la politesse réclamée par la coutume coréenne.

Le film explore le thème de l'adoption internationale, mais va bien au-delà. Il est question pour Freddie de se chercher. Sans cesse, elle s'émancipe des identités qu'on lui assigne. Je suis né en France de parents nés au Cambodge, je suis allé là-bas pour la première fois à l'âge de 25 ans. Mon rapport au pays était similaire à celui de Freddie au début du film. J'étais loin de me douter que cet élan vers mes origines allait autant bousculer ma façon de comprendre qui je suis. La vie amène à reconfigurer les identités, les rapports au monde et à soi. L'horizon qui m'intéressait, de ma position de réalisateur français racisé, c'est cette trajectoire d'un personnage qui refuse constamment de rentrer dans une définition pré-établie ou qu'on parle en son nom. Freddie passe son temps à se réinventer, se reconstruire et se réaffirmer. C'est la thématique universelle de l'identité.

J'ai toujours été touché par ces films qui nous font traverser des existences entières. Dans les trois parties du film, on accompagne à chaque fois Freddie à un moment précis de sa vie.
Ces couches successives d'existence amènent sa profondeur au personnage. Je me pose en résistance contre cette idée un peu facile de la réconciliation avec soi comme finalité. Sur la question de l'identité, de l'intégration, on rencontre beaucoup ce schéma fictionnel prémâché, en un coup de baguette magique, les personnages finissent en paix avec eux-mêmes. Dans les histoires d'adoption, on pourrait penser que la rencontre avec le parent biologique referme la blessure. Or, dans les récits que j'ai pu recueillir, c'est justement le début des problèmes !

Séoul évolue en même temps que l'héroïne. Au début du film, l'espace est comme indéfini, avec une faible profondeur de champ. Au fur et à mesure, le cadre s'élargit et Freddie s'approprie et remodèle la ville. Au départ j'étais excité de prendre le contrepied de ce qu'on attend d'un film de voyage, avec beaucoup d'extérieurs. Je me disais que je voulais faire un film d'intérieur. C'est aussi dû à mon expérience, à Séoul on passe beaucoup de temps dans les bars, dans les restos. Je pense que cette évolution traduit la trajectoire intérieure du personnage qui se confronte à elle-même et à son passé. Freddie est un peu vorace, elle absorbe les énergies humaines autour d'elle, elle transforme les figurants en personnages. Ce côté démiurge, survolontariste, vient peut-être de sa peur. Sa façon de réagir, c'est de devenir maîtresse de son environnement, elle le brutalise. Dans la deuxième partie du film, elle jauge entre les extrêmes : elle habite tout en haut d'un immeuble où elle a une vue surplombante sur la ville, et on la suit en même temps dans les sous-sols, avec tout ce que la nuit compte de figures underground. Dans la troisième partie, elle paraît plus sereine, même si, comme elle le dit, cette sérénité pourrait disparaître en un claquement de doigts. Les choses sont toujours instables, irrésolues, en transformation, c'est ce qui m'intéresse et ce que le personnage nous apprend.

 

Fiche technique:

  • Réalisation et scénario : Davy Chou
  • Musique : Jérémie Arcache et Christophe Musset
  • Photographie : Thomas Favel
  • Montage : Dounia Sichov
  • Sociétés de production : Aurora Films, Vandertastic Films, Frakas Productions, Merecinema, Anti-Archive, Ciné+, VOO, BE TV et Belga Productions
  • Pays de production : France (70 %), Allemagne , Belgique, Qatar
  • Durée : 119 minutes
  • Dates de sortie: 22 mai 2022 (Un certain regard, Cannes 2022)
    • 25 janvier 2023 , sortie nationale

Distribution

  • Park Ji-min : Frédérique « Freddie » Benoît
  • Oh Kwang-rok : le père biologique de Freddie
  • Guka Han : Tena
  • Kim Sun-young : la tante coréenne
  • Yoann Zimmer : Maxime
  • Louis-Do de Lencquesaing  : André

 

Davy Chou, né le 13 août 1983 à Fontenay-aux-Roses, cinéaste franco-cambodgien.

Davy Chou est le petit-fils de Van Chann, un des principaux producteurs du Cambodge dans les années 1960 et 1970.

En 2009, Davy Chou crée à Phnom Penh un atelier de cinéma avec 6 universités et 60 étudiants, Kon Khmer Koun Khmer ( Films khmers, jeunes Khmers), producteur d’un film de suspense de 45 minutes tourné au Cambodge et dirigé par les étudiants, Twin Diamonds.

En 2010-2011, il part au Cambodge à la recherche des témoins survivants (professionnels, spectateurs, bâtiments) de l’âge d’or du cinéma cambodgien, entre 1960 et 1975 (près de 400 films, dont beaucoup ont été détruits ou perdus sous les Khmers rouges). Le documentaire de 100 minutes qui résulte de ce travail de mémoire, Le Sommeil d'or (en anglais, Golden Slumbers, en khmer, Dâmnek Meas) a été sélectionné dans de nombreux festivals de cinema notamment le Forum du Festival International du Film de Berlin 2012, le Festival international du film de Busan 2011 et a remporte le prix One+One du Festival international du film de Belfort 2011.

Son court métrage Cambodia 2099 narre l'histoire de deux jeunes cambodgiens qui se retrouvent à Diamond Island pour parler de leur rêve. Le film a été sélectionné à la Quinzaine des réalisateurs en 2014 et a remporté le Grand Prix du Festival du film de Vendôme 2014.

Son premier long métrage de fiction, Diamond Island, a été sélectionné par la Semaine de la critique du Festival de Cannes 2016.

Davy Chou a créé en 2009 avec Jacky Goldberg et Sylvain Decouvelaere la société de production Vycky Films, ainsi que Anti-Archive en 2014 avec Steve Chen et Kavich Neang permettant à des réalisateurs khmers émergents de produire leurs films.

Filmographie

Long-métrage

  • 2016 : Diamond Island
  • 2022 : Retour à Séoul

Documentaire

  • 2012 : Le Sommeil d'or

Court-métrage

  • 2006 : Le Premier Film de Davy Chou
  • 2008 : Expired
  • 2009 : Twin Diamonds
  • 2014 : Cambodia 2099