Volver de Pedro Almodóvar
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Le film oscille entre un petit village de la Manche balayé par un fort vent d'Est et que l'on devine plein de non-dit et Madrid, ses quartiers effervescents de la classe ouvrière, où les immigrés des différentes provinces espagnoles partagent leurs rêves, leur vie et leur fortune avec une multitude d'ethnies étrangères. Au sein de cette trame sociale, trois générations de femmes survivent au vent, au feu, et même à la mort, grâce à leur bonté, à leur audace et à une vitalité sans limites. En castillan, Volver signifie "revenir". La première séquence
du film de Pedro Almodovar montre des femmes balayant les pierres tombales
d'un cimetière de village. Une première manière de revenir des
morts parmi les vivants. L'une d'elles, Raimunda, accompagnée de sa
fille Paula, a fait le voyage de Madrid jusque dans la Manche, celle
du Don Quichotte, pour entretenir la sépulture de ses parents. Un autre
retour, de la ville au village. L'accumulation de ces retours donne à Volver une place primordiale dans le chemin qui a mené le cinéaste des bars madrilènes des années 1970 à la consécration internationale. Le cinéaste estime venu le moment de nouer deux des fils qui courent dans son uvre : l'un, plus récent, marqué par une virtuosité sans cesse raffinée dans l'art de construire et de donner vie à un scénario complexe, l'autre, plus ancien, qui en faisait le metteur en scène flamboyant aussi bien des déboires les plus humiliants que des accidents les plus horribles, les unissant dans un univers régi par des règles proches du surnaturel. Le scénario est si riche, les frontières entre le monde des vivants et celui des morts si souvent franchies, et dans tous les sens, mais pour étrange qu'il soit le scénario reste rationnel; les fantômes sont bien vivants. Au cimetière, il y a Raimunda et Paula avec Sole , leur sur et tante, et une autre Paula, la grand-tante . Sous la pierre tombale gît, en théorie, Irene, la mère des deux femmes. Mais puisque le rôle a été confié à Carmen Maura, il faudra bien qu'Irene retrouve une place sur terre. Justement, deux se libèrent : de retour à Madrid, Raimunda fait passer de vie à trépas son époux qui a tenté de violer sa fille Paula ; et, au village, la vieille tante s'éteint. Quand on l'enterre, on murmure qu'elle a passé ses dernières années en compagnie du fantôme d'Irene. Entre la ville et le village, entre le récit du passé et ce qui s'est vraiment passé, entre les trois générations de femmes, s'établit un trafic si intense que seul Pedro Almodovar peut en rendre compte. Il y a là beaucoup de comédie y compris pétomane et une énergie folle qui jaillit de partout : de la mise en scène, peut-être un peu moins élégante que d'accoutumée, mais euphorisante ; du jeu des actrices aussi, et peut-être surtout. Penélope Cruz déclare que Pedro Almodóvar l'a dirigée
de la tête aux pieds. Certes. Dans ce panoramique, Almodóvar s'est souvent
arrêté à ses qualités callipyges et s'est longuement attardé,
caressant, sur la plus belle paire de seins du monde, en particulier
dans une contre-plongée mémorable qui déclenchera
une pique dans les dialogues du film (mise en abîme mammaire...):
«Dis donc, tu n'avais pas ces nichons-là il y a dix ans ?» Penelope Cruz n'éclipse en rien l'éclat de ses camarades, à commencer par Carmen Maura, dont les retrouvailles avec Pedro Almodovar sont aussi spectaculaires que leur brouille le fut, il y a bientôt dix ans. Une revenante au sens strict puisque dans le film Irene est censée être décédée des années auparavant dans un incendie bizarre. Il n'y a pas que les vivantes qui reviennent dans ce film hanté, il y a aussi les mortes. On dirait que Pedro peut tout lui demander. Et il le fait quand on voit aura apparaître en mi-bas de contention et cheveux gris délavés, spectre d'elle-même. Mais il ne faudrait surtout pas y lire une quelconque cruauté. aura ainsi ressuscitée, c'est une Vierge en souillon, un grand rôle. D'autres sacrés caractères se dessinent. Sole, sa sur
timide, qui vit d'un salon de coiffure clandestin, sa voisine, la grosse
pute accorte, et surtout sa fille qui va commettre l'irréparable : un
soir de ivrognerie, son père veut violer l'adolescente. Elle le tue
d'un seul coup de couteau, scène que nous ne voyons pas. Mais où sont les hommes ? Morts ou enterrés, à peine gratifiés d'une présence aimable sous la forme d'un jeune régisseur de cinéma qui organise les déjeuners de son équipe dans la cantine de Raimunda. On pense, en voyant Raimunda mettre un superbe corsage décolleté qu'elle va craquer devant son charme ; mais il devra se contenter d'un sourire commercial. C'est l'idée d'Almodóvar : réelle ou imaginaire, la famille se conjugue au féminin. De mère en fille, toutes surs. Sans renier d'où on vient mais sans en rajouter en démonstration psychanalytique, Volver nous parle de transmission, d'amour plus fort que tout, de chansons tristes qui font pleurer, de plaisanteries populaires qui font rire. Ce film est une danse gaie et macabre. Il s'allonge à
côté de la mort, il parle avec elle : Almodóvar parle de «naturalisme
surréel» pour ce récit censément fantastique et au réalisme
tranquille dans la façon de le mener. |