Madame de...

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Madame de... film français réalisé par Max Ophüls, sorti en 1953.

Analyse critique

L'action se passe à Paris, vers 1900. Endettée parce que dépensant sans compter, Madame de... (Louise) coquette et frivole femme d'un général attaché au ministère de la Guerre, vend en secret des cœurs en diamants, des boucles d'oreilles, offertes par son mari. Quelques jours plus tard au cours d'une soirée à l'Opéra, elle fait mine de les avoir perdus. Le général les fait chercher partout et déclenche un petit scandale. Informé de l'affaire par les journaux, le bijoutier va trouver le général et lui raconte tout.

Amusé par les cachotteries de son épouse, le général rachète les boucles d'oreilles et les offre à sa maîtresse, en cadeau de rupture. Arrivée à Constantinople, cette dernière revend les boucles à son tour. Un ambassadeur, le baron Donati, avant d’être nommé ambassadeur à Paris, achète les cœurs en diamant. Il rencontre Madame de… sur un quai de gare et s'éprend d’elle. Succombant à son charme, il lui offre les boucles d'oreilles. Amoureuse pour la première fois, Louise accepte les cœurs sans avouer qu'ils lui ont déjà appartenu. Celle-ci feint d'avoir retrouvé les diamants dans une paire de gants. Mais le général qui n'est pas dupe, conte l'affaire du curieux itinéraire des boucles d’oreilles au diplomate, et l'oblige à reprendre son cadeau. Le baron, déçu des mensonges de Louise, s'éloigne d’elle.

Le baron Donati s'éloigne de Madame de... Mais celle-ci est enfin touchée par l'amour et sombre dans la prostration. Désespérée, elle se retranche du monde et se réfugie dans la maladie. Rendant Donati responsable de l’état de sa femme, le général le provoque en duel. Voulant séparer les deux hommes, Louise, au plus mal, se précipite sur les lieux du combat et succombe à une crise cardiaque en entendant un coup de feu.

L'unité de la première partie (la frivolité) est donnée par l'omniprésence des boucles d'oreilles. Elles sont, soit montrées, soit objet principal de la conversation des personnages dans onze scènes. La scène du passage en douane indique bien la volonté d'Ophuls de toujours parler de ces boucles: en commençant son plan séquence par ces boucles, il confère à cette scène explicative une valeur symbolique qui en serait dépourvue autrement. Les bijoux symbolisent les échanges superficiels de la société. A noter aussi la séquence d'ouverture constituée de quatre plans qui saisie Madame de.. chez elle. Elle débute par un plan séquence de 2mn25, cadrant d'abord la main de Madame de... qui insecte bijoux et vêtements, puis, élargissement le champ par un recadrage à partir de son visage reflété par le miroir, saisit ensuite son cheminement vers la porte. Le second plan intègre une descente d'escalier avec un franchissement de porte, saisit au travers d'une vitre.

Les trois parties suivantes laisseront les bijoux à l'arrière plan pour développer le thème de la passion amoureuse. Dans la première scène, entre Le baron et Madame de.., il n'est plus question des bijoux. Lors de leur réapparition, ils auront changer de sens. Deux magnifiques plan séquences marquent cette partie : dans la chambre de Madame De.., et celui où elle monte les escaliers chez le bijoutier.

La seconde partie (le libertinage) est marquée par les scènes en fondu enchaîné des bals de plus en plus rapprochés dans lesquels se retrouvent les amants. Le dernier bal est l'occasion d'un panoramique qui préfigure la tragédie en isolant les amants.

La troisième partie qui décrit la passion amoureuse est l'occasion d'une scène où les petits mots déchirés se transforment en flocons de neige. Les rares extérieurs en Italie sont très efficaces, de même que le retour dans une calèche. La dernière partie débute par un magistral plan séquence partant du carton d'invitation pour finir par la valse des amants qui sera l'occasion du mensonge fatal.

Cette histoire d'un bijou, d'un mensonge et d'une passion est sans doute l'oeuvre la plus achevée de Ophuls pour l'équilibre qu'on y trouve entre le classicisme secret du cinéaste, goût pour les intrigues construites et bouclées, retenue et pudeur, sens de la litote et baroquisme évident. C'est aussi le film d'Ophuls où les partis pris de mise en scène épousent le plus naturellement les idées et la vision du monde de l'auteur. Ophuls haïssait le plan fixe comme contraire à la vie et à la réalité et ce film n'en comporte pratiquement pas.

Le mouvement qui anime chacune des séquences et l'ensemble de l'oeuvre contient en lui même la réponse que pose constamment l'univers de Ophuls: qu'est ce que la frivolité ? Qu'est ce que la gravité ? Ce mouvement les transforme l'une en l'autre comme il transforme les personnages à chaque instant de leur vie. C'est dans ce mouvement incessant mais qui jamais ne revient en arrière des corps, des impressions, des sentiments, des passions qu'Ophuls a vu la vérité, à la fois superficielle et tragique, de la condition humaine. Intrigue parfaite dans ses circonvolutions et sa netteté, dialogues ironiques et simples, d'une extrême qualité littéraire par l'adaptation du roman de Louise de Vilmorin, acteurs sensibles et raffinés, photo superbement contrastée, décors au foisonnement débouchant sur l'abstrait: jamais autant qu'ici Ophuls n'a dominé sa matière et livré un récit complètement détaché de lui et qui est en même temps une confession intime.

Max Ophüls a modifié la fin du roman de Louise de Vilmorin. Dans le roman, Madame de... mourait en présence de son mari et de son amant en offrant une boucle à chacun... Ophüls a délaissé le mélodrame pour en faire une tragédie conforme à ses thèmes favoris : le plaisir est triste, et l'amour rencontre la mort. On remarque également, comme dans d'autres films d'Ophüls, l'obsession des glaces et des escaliers.

Citation

« Dans une scène célèbre de Madame de..., les yeux fermés, la joue appuyée sur une porte qui se referme, Darrieux répète une litanie amoureuse, des mots simples qui révèlent une passion qu’elle prétend nier : "Je ne vous aime pas, je ne vous aime pas, je ne vous aime pas", dit-elle à l’homme qui s’en va... Suit alors un moment de grâce absolue, quelques secondes magiques où apparaît, dans tout son éclat, le talent qu’a toujours eu Darrieux à insuffler à ses comédies une sourde mélancolie et à parer ses drames d’une dérision légère, impalpable. Comme la certitude douce-amère qui lui aura servi de philosophie. L’idée, terrifiante et juste, que dans la vie tout ce qui est inéluctable n’a décidément aucune importance. »
Pierre Murat, Télérama.

Distribution

  • Danielle Darrieux : La comtesse Louise de...
  • Charles Boyer : Le général André de...
  • Vittorio De Sica : Le baron Fabrizio Donati
  • Jean Debucourt : M. Rémy, le bijoutier
  • Mireille Perrey : Nounou, la nourrice de la comtesse
  • Lia di Léo : Lola, la maîtresse du général
  • Jean Galland : M. de Bernac
  • Hubert Noël : Henri de Malville
  • Josselin : Un diplomate
  • Paul Azaïs : Léon, le cocher fiacre de Louise
  • Claire Duhamel : Élisabeth, la nièce du général

Fiche technique

  • Titre : Madame de...
  • Réalisation : Max Ophüls
  • Scénario : Marcel Achard, Max Ophüls, et Annette Wademant d'après le roman de Louise de Vilmorin
  • Dialogues : Marcel Achard
  • Images : Christian Matras
  • Opérateur : Alain Douarinou
  • Musique : Oscar Straus et Georges van Parys
  • Montage : Boris Lewin
  • Directeur de production : Henri Baum et Ralph Baum
  • Production : Franco-London-Films Indusfilms (Paris), Rizzoli Films (Rome)
  • Format : Noir et blanc - Son mono
  • Durée : 100 minutes
  • Date de sortie : 16 septembre 1953

Distinctions

  • Nomination à l'Oscar de la meilleure création de costume] pour Georges Annenkov et Rosine Delamare en 1954
  • Ce film fait partie des 100 meilleurs filmsdes Cahiers du Cinéma (liste publiée en 2007)


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