Oncle Boonmee

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Oncle Boonmee, celui qui se souvient de ses vies antérieures (thaï : ลุงบุญมีระลึกชาติ ou Lung Boonmee raluek chat, titre international : Uncle Boonmee Who Can Recall His Past Lives) film thaïlandais de Apichatpong Weerasethakul, sorti en 2010. Il remporte la Palme d'or lors du Festival de Cannes 2010.

Analyse critique

L'action se déroule à Isan, dans la région nord-est de la Thaïlande. L'oncle Boonmee, un apiculteur thaïlandais d'une soixantaine d'années, souffre d'insuffisance rénale et se prépare à mourir. Il décide de passer les quelques jours qui lui restent dans une ferme située dans les montagnes, entouré de sa belle-sœur et d'un Laotien chargé de lui prodiguer des soins. Un soir, les fantômes de sa femme et de son fils défunts apparaissent à la table du dîner. Ce dernier a pris l'apparence d'un grand singe sombre aux yeux rouges et phosphorescents. Le vieil homme part alors dans la jungle tropicale avec sa famille pour atteindre la mystérieuse grotte qui fut le berceau de sa première existence. Au cours du voyage, ses vies antérieures prennent forme et se rappellent à lui.

Apichatpong Weerasethakul commence l'écriture du projet en 2007. Le livre d'un moine, Un homme qui se souvient de ses vies antérieures (dans lequel apparaît un personnage nommé Boonmee) le hante depuis longtemps. Mais Weerasethakul ne souhaite pas adapter le livre : il préfère s'en inspirer, et s'en éloigner pour certaines scènes. Le cinéaste part à la recherche de Boonmee en voyageant au bord du Mékong, au Nord-Est de la Thaïlande. Il y rencontre les trois fils de Boonmee et recueille les témoignages de ceux qui l'ont un jour croisés. L'idée de faire un film sur les vies antérieures et la réincarnation prend forme au cours de ce voyage. Le cinéaste s'arrête dans le village de Nabua pour filmer des scènes qui lui serviront pour l'exposition d'art contemporain, intitulée Primitive, qu'il prépare au même moment.

Dans ses travaux précédant le film, Weerasethakul a produit une installation vidéo en sept parties, ainsi que deux courts métrages : Lettre à l'Oncle Boonmee et Les Fantômes de Nabua, tous deux présentés en 2009. Le projet global Primitive traite des thèmes de la mémoire, de la métamorphose et de la disparition.

L'intention initiale de Weerasethakul est de donner à voir l'entrelacement, ou l'interpénétration, de différentes réalités comme le passé et le présent, les vivants et les morts, le jour et la nuit, le rêve et la réalité, l'humain et l'animal, l'homme et la nature. Il s'agit pour le cinéaste de superposer des degrés de réalité différents, sans nécessairement en désigner la nature aux spectateurs car pour lui, « le monde spirituel co-existe avec le monde réel sans frontière apparente » Le film conduit dans un monde où les différences disparaissent entre raison et imagination, créatures humaines et fantastiques, présent et passé, et peut-être futur.

Le réalisateur traite la question de la réincarnation, typique du Bouddhisme, de manière très directe et étrangement chaleureuse. Dans le motif de la réincarnation, où tous les êtres vivants coexistent dans une forme de conscience universelle et non-linéaire, Weerasetakul affirme sa propre conception du cinéma, c'est-à-dire un médium capable de rejouer et de représenter ses vies antérieures, et de connecter l'humain à l'animal. C'est pourquoi les dernières scènes du film ont été tournées en 16 mm, l'image produite par ce format pouvant être vu comme un hommage au monde de l'enfance, et aux films anciens dont le réalisateur s'est inspiré. Le casting du film, qui reprend les acteurs de ses précédents films, appuie cette interprétation puisque le procédé joue également sur l'idée de réincarnation, ou de répétition au sens large

Un contexte historique et géopolitique apparaît dans le film. Le conflit entre les insurgés communistes et les autorités thaïlandaises est évoqué, ainsi que le sort des réfugiés laotiens ayant quitté leur pays à la suite de son invasion par le Vietnam. Ces descriptions ont été inspirées au cinéastes par les témoignages qu'il a recueillis lors de ses repérages dans la région du Nord-Est de la Thaïlande, notamment ceux d'exilés birmans. Ces éléments s'agrègent aux autres thèmes exploités par le film en tant qu'ils véhiculent, eux aussi, une réflexion sur la mémoire, enfouie, refoulée ou encore vive. Mais le cinéaste se montre plutôt optimiste sur ces questions : « On voit des tonnes de films d’apocalypse sur la fin de la civilisation. Moi, je ne m’attarde pas là-dessus. Je me demande ce qu’il y a après, quel monde nouveau »

À l'inverse des précédents films d'Apichatpong Weerasethakul, les visions ou apparitions fantastiques apparaissent très tôt dans le récit. Le film évolue dès la première demi-heure dans une réalité surnaturelle avant de revenir, à la fin, dans un univers plus réaliste. Le cinéaste avait d'abord pensé à faire un film en deux parties, puis envisage de donner un style différent à chacune des bobines (ou segments narratifs) du film. Le récit est donc divisé en 6 bobines de vingt minutes, de style différent. Le cinéaste a attribué à chacun de ses segments une direction particulière de lumière, de jeu et de mise en scène. Cependant le cinéaste tient à ce que ces différences ne soient pas trop manifestes : « Si l'on projette les bobines séparément, on voit bien les différences, mais dans la continuité, c'est plus difficile à percevoir ».

La première bobine répond d'un style documentaire et presque naturaliste, c'est la présentation des personnages, du décor, des enjeux dramatiques. Le cinéaste y privilégie le plan séquence pour asseoir l'ambiance et plonger le spectateur dans un état d'onirisme, de rêverie. Les autres bobines connaissent des effets de montage plus classiques.
La deuxième bobine s'inspire de l'esthétique des fictions thaïlandaises que le cinéaste voyait à la télévision dans son enfance.
La troisième, l'épisode de la ferme, revient à une inspiration documentaire, dans un style que le cinéaste qualifie d' un peu français , avec un éclairage contrasté.
La quatrième, l'épisode de la princesse, est un film en costumes.
La cinquième, la jungle, est décrite par le cinéaste comme un mélange des deux précédentes : l'éclairage est très stylisé, presque théâtral et artificiel. C'est un hommage aux vieux films.
La sixième et dernière partie rejoint l'esthétique de la première bobine, on y retourne dans le monde contemporain, filmé dans des plans longs et avec une lumière réaliste.

L'humour est très présent dans le film. La photographie du singe posant avec des militaires en est une des plus frappantes manifestations, en forme de scandale burlesque, de mise à distance qui permet d'appuyer la sidération et le grotesque dont s'entoure le personnage. Il faut citer aussi la scène où la Princesse s'accouple avec un poisson-chat. Ici, l'hypnose et la magie sont aléatoires, comme une vague qui vient et qui se retire loin, très loin. Apichatpong Weerasethakul décrit son film comme un alliage de références hétéroclites.

Les effets spéciaux du film touchent d'abord la lumière et la couleur. Pour figurer le fantôme de la femme de Boonmee, Weerasethakul utilise un procédé assez rudimentaire, employé dès les débuts du cinéma, un miroir est utilisé pour superposer deux plans dans la même image. Les effets spéciaux assument donc leur part de bricolage, de primitif.

Apichatpong Weerasethakul explore les limites entre la vie et l’au-delà, la réalité et le rêve, le présent et le souvenir. Les moments se suivent, les altérations entre une scène et l’autre sont presque imperceptibles et pourtant elles font à chaque fois basculer dans un autre degré de réalité. Le film est proprement asiatique, il illustre une façon de percevoir le monde qui nous est totalement étrangère et à laquelle il peut être difficile d’adhérer mais qui dans tous les cas est fascinante. Le montage n’a rien d’occidental non plus, les plans sont longs, fixes, bien loin des habitudes européennes et encore plus de celles américaines d’efficacité et de rapidité. Il explore avec bonheur cet univers inspiré par un rapport au monde qui est celui de centaines de millions d’être humains, un mélange d'animisme et de bouddhisme. Ce rapport au monde est quasiment ignoré des arts occidentaux, cinéma compris, alors même qu’il est au principe d’une immense quantité de productions symboliques.

Distribution

  • Thanapat Saisaymar : l'oncle Boonmee
  • Jenjira Pongpas : Jen
  • Sakda Kaewbuadee : Tong
  • Natthakarn Aphaiwonk : Huav, la femme de Boonmee
  • Geerasak Kulhong : Boonsong, le fils de Boonmee
  • Kanokporn Thongaram : Roong, l'ami de Jen
  • Samud Kugasang : Jaai
  • Wallapa Mongkolprasert : la princesse
  • Sumit Suebsee : le soldat
  • Vien Pimdee : le fermier

Fiche technique

  • Titre original : Lung Boonmee raluek chat
  • Réalisation et scénario : Apichatpong Weerasethakul
  • Producteurs : Simon Field, Keith Griffiths, Apichatpong Weerasethakul
  • Directeur de la photographie : Yukontorn Mingmongkon, Sayombhu Mukdeeprom, Charin Pengpanich
  • Musique originale: Koichi Shimizu
  • Montage : Lee Chatametikool
  • Durée : 114 minutes
  • Date de sortie : 21 mai 2010


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