Under the Skin

De Wiki de A à Z.

Under the Skin film britannique de Jonathan Glazer, sorti en 2013.

Analyse critique

Le film commence par des images abstraites, belles et mystérieuses, un peu comme un film de Kubrick. Une petite lumière dans la nuit, et dans l’obscurité, d’étranges matières se glissent et s’emboîtent les unes dans les autres. On suppose que c'est la fabrication, en extrême gros plan, d’un œil humain. C’est celui d’une créature qui revêt l’apparence d’une femme, sa peau, ses vêtements. Sous la protection d’un mystérieux motard, au volant d'une camionnette, Laura, qui va s'avérer être une extraterrestre, vêtue d'une fourrure, séduit des hommes. Elle parle avec l'accent anglais et répète à chaque fois la même scène : elle questionne sans trop de finesse ses passagers potentiels, afin de s'assurer que personne ne les attend à la maison. Certaines de ces scènes ont été filmées en caméra cachée avec de véritables passants.

Lorsqu'elle trouve un candidat idéalement isolé, elle l'emmène dans un quartier reculé, jusqu'à une maison qui de l'extérieur ressemble à un taudis et à l'intérieur recèle un piège d'une grande beauté. La femme se dévêt en reculant à l'intérieur d'une pièce noire, l'homme la suit et s'enfonce à travers une surface lisse pour se retrouver piégé dans un liquide. Leur dépouille va servir à donner apparence humaine à d'autres créatures. Laura reste impassible.

On peut trouver les tenants et les aboutissants de ces mystères dans le roman de Michel Faber dont Jonathan Glazer et Walter Campbell ont tiré le scénario d'Under the Skin. Mais le film offre la possibilité d'édifier sa propre fiction. La lecture des critiques et des spectateurs anglo-saxons montre toute l'étendue de l'espace que laisse le film à l'imagination. Au spectateur de décider, par exemple, si cet être qui a emprunté son enveloppe charnelle à Scarlett Johansson est la femelle de son espèce ou une machine fabriquée par son commanditaire. Ces vagabondages sont autorisés à l'intérieur d'un univers foisonnant d'images et d'idées, et à condition que l'on suive pas à pas la mystérieuse créature. Créature, elle l'est au début. On entend bien que sous son apparence de femme elle est autre, qu'elle ânonne des répliques toutes faites, dans un but purement fonctionnel, attirer les humains dans son piège.

Tous les événements qui se déroulent dans le film peuvent alors être pris au pied de la lettre, comme une métaphore littérale du pouvoir de séduction et de ses limites de l'actrice principale Scarlett Johansson, métamorphosée en brune, et de son statut de star sex-symbol. L’insensibilité aux autres, le dédain de la vedette. On découvre aussi très vite, dans des scènes à la lumière glacée, que Laura a pour mission d’obtenir la peau de ces hommes, au sens propre du mot. Une fois dans le liquide noir, qui s’avère translucide, leur peau se détache peu à peu de leur corps, aspiré par on ne sait quoi, et se met à flotter comme un vulgaire sac en plastique au milieu de l’océan.

Elle se montre insensible devant une scène poignante. Une jeune femme se noie dans une mer mauvaise, ayant voulu sauver son chien emporté par le courant. Son époux se jette à l'eau, et se trouve lui aussi en difficulté. Un témoin, bon nageur, intervient à son tour et ne peut ramener que le mari, tout espoir de sauver la femme étant vain. Le mari se jette à nouveau à l'eau. Laura s'approche du témoin courageux, qui est à bout de forces. Elle l'assomme d'un coup de gros galet. Elle le traîne jusqu'à sa camionnette, laissant seul sur la grève le bébé du couple. Cette séquence donne à voir une image saisissante, belle et abominable, sur une plage de galets où vient s'abattre un océan furieux, le tout jeune enfant est laissé seul, la nuit, abandonné à ses cris et aux sensations trop fortes, insoutenables, que font peser sur lui la terreur de l'abandon, le hurlement des vagues, l'étreinte du noir, le monde tout entier qui est en train de l'engloutir.

Laura est supervisée par un motard qui veille à ce qu'elle garde cette insensibilité. Elle ne doit pas être contaminée par son enveloppe humaine, elle ne doit pas être tentée d'éprouver des sentiments. Un soir, elle fait monter dans sa camionnette un jeune homme triste, au regard fuyant, aux réponses réticentes, au visage déformé par la neurofibromatose. Il n'a jamais eu ni ami ni petite amie, et les gens le provoquent parce qu'ils sont, dit-il, « mal éduqués ». Désocialisé, il va refuser tous les plaisirs qu’elle lui propose. C’est la première fois de sa vie qu’un Terrien, dont Laura ne peut mesurer d'emblée l’étendue du malheur, repousse ses avances. Laura réussit à le mettre en confiance, et à le convaincre de venir jusqu'à la maison. Au dernier moment, contre toute attente, elle lui rend la liberté. mais le motard le retrouvera et fera disparaitre ce témoin gênant.

C'est le début, pour Laura, de son chemin vers l'humanité, qui va être aussi celui de sa fin. Un sentiment naît en elle, puis encore un autre, puis d’autres, dont la peur. La nature pénètre en elle grâce à cette pellicule poreuse. Et elle devient aussi un danger pour elle, comme elle l’est pour chacun. La sensibilité est aussi une faiblesse, et elle n’échappera pas au mal qui rôde parfois dans les forêts isolées, au milieu des grands arbres hirsutes. La Terre, qui n’était rien pour elle, a pénétré en elle et va la détruire. Cette mutation soit presque muette. Les dialogues stéréotypés du début laissent la place au regard, à la mobilité croissante du visage. La dernière partie du film renverse les rôles : la tueuse tente d'échapper à son créateur, quitte Glasgow pour les Highlands, leurs pics déchiquetés, leurs sombres forêts de sapins.

Elle erre désormais à pied, sans sa fourrure de dominatrice, tandis que plusieurs inquiétants motards, que l'on suppose être ses "surveillants" extraterrestres, sont à sa recherche sur toutes les routes. Elle goûte à la nourriture des humains, mais n'arrive pas à l'avaler. Elle est recueillie par un homme qui se montre plus hospitalier qu'empressé de la séduire. Lorsqu'enfin ils cèdent à leur attirance, c'est l'échec : sous l'enveloppe humaine, le corps de Laura n'est pas adapté, il n'y a rien derrière ses lèvres que ce soit pour manger ou pour aimer. Elle poursuit alors son errance dans les bois. Un forestier tente de la violer. Dans la lutte, la peau de Laura se déchire et laisse apparaître son vrai corps. Le forestier terrorisé l'asperge d'essence et l'enflamme.

À la fin du film, l'œil du début finira aveuglé, recouvert d'un linceul de lumière blanche où se déposent à la fois le générique et des flocons pareillement blancs, s'échouant un à un en faisant un bruit infinitésimal. Les dernières images semblent dire l'extrême épuisement de la sensation, le plus petit résidu de matière qu'il soit donné à un film d'enregistrer.

Under the Skin est un film romantique, qui présente plus d'un trait commun avec le Frankenstein de Mary Shelley. Un être artificiel s'efforce de comprendre, puis de s'unir au genre humain et fait l'expérience du désir, de la violence, de la solitude. Il faut ajouter à ce versant un peu exalté, un humour noir qui affleure par instants. Les mésaventures de l'héroïne sur ce chemin sont parfois comiques, car elle doit faire face à quelques erreurs commises par ses créateurs lors de sa fabrication, parfois déchirantes. Under the Skin met d'abord en scène le passage de la frontière entre inhumanité et humanité. Et puis, en contrepoint, il ramène une superstar au statut d'anonyme, à charge pour le personnage de reconquérir sa capacité à susciter non seulement le désir animal, mais l'affection.

Distribution

  • Scarlett Johansson : Laura
  • Lynsey Taylor MacKay : la jeune fille dont Laura revêt la peau
  • Paul Brannigan : Andrew, le dragueur de la boîte de nuit
  • Krystof Hádek : le nageur tchèque
  • Robert J. Goodwin : un client du salon de thé
  • Michael Moreland : l'amoureux attentionné
  • Scott Dymond : l'homme nerveux
  • Jeremy McWilliams : l'extraterrestre à moto
  • Adam Pearson : le jeune homme au visage déformé par la neurofibromatose
  • Dave Acton : le forestier

Fiche technique

  • Réalisation : Jonathan Glazer
  • Scénario : Walter Campbell, librement adapté du roman Under the Skin de Michel Faber, paru en 2005
  • Direction artistique : Chris Oddy
  • Montage : Paul Watts
  • Musique : Mica Levi
  • Photographie : Daniel Landin
  • Production : Nick Wechsler et James Wilson
  • Sociétés de production : Film Four, FilmNation Entertainment, JW Films, Nick Wechsler Productions, Scottish Screen, Silver Reel et UK Film Council
  • Durée : 108 minutes
  • Dates de sortie : 3 septembre 2013 (Mostra de Venise 2013)
    • France : 25 juin 2014
underskin.jpg
Outils personnels

Voir aussi les films d' Ann ; le cinéma de Nezumi; les Artistes contemporains / Randonnées dans les Pyrénées

Voyages : les merveilles du Japon; Les temples et des montagnes du Népal